Nymphe désarmant l'Amour

Jean-Baptiste Camille COROT dit Camille COROT
1857
80 x 60 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Don de Léonce Mesnard en 1890

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Élève d’Achille-Edna Michallon et de Jean-Victor Bertin, Camille Corot est à ses débuts un paysagiste héritier de la grande tradition classique, puisant dans l’observation de la nature, arbres, rochers, mares, sous-bois, des motifs qu’il agence ensuite selon sa sensibilité dans le secret de l’atelier. Infatigable voyageur, Corot se rend en Italie puis sillonne la France à la recherche de coins de nature pittoresques, fréquentant très tôt la forêt de Fontainebleau. Travaillant en plein air à Chailly puis à Barbizon aux côtés de ses amis Théodore Caruelle d’Aligny , Théodore Rousseau ou Narcisse Diaz de la Peña, Corot met au point une formule de paysage, traitée dans une touche légère et floconneuse, qui allie une construction solide à une grande sensibilité aux effets de lumière et de transparence. À partir des années 1850, il baigne ses coins de nature d’une atmosphère poétique, plus proche du souvenir que de l’imitation servile du motif, préférant recomposer en atelier ses paysages qu’il peuple souvent de nymphes et d’amours. « Ce n’est pas un paysagiste, c’est le poète même du paysage, qui sent, qui souffre, qui trouve en lui, qui respire les tristesses et les joies de la nature ; il connaît la douleur des forêts éplorées, l’ineffable mélancolie des soirs, l’éclatante joie des printemps et des aurores ; il devine quelle pensée incline les branches et fait plier les feuillages » note Théodore de Banville[1]. Cet étonnant dessin au crayon graphite sur toile est une des très nombreuses étapes dans la préparation de la toile intitulée Nymphe désarmant l’amour que Camille Corot présente au Salon de 1857. La composition générale du tableau semble déjà fixée dans la lettre qu’il adresse le 31 mars 1857 à son ami le peintre Édouard Berton où il précise : « Pour mon travail de cette année pour l’exposition, me voici au bout. J’en aurai 5, je crois[2]». Il accompagne sa missive d’une série de croquis à la plume dans lesquels on reconnaît le schéma général du tableau[3], assorti de la mention suivante : « Une Vénus et l’amour / les figures sur un ciel clair ». L’artiste consacre par la suite plusieurs croquis, plus ou moins aboutis, aux figures de la nymphe et du petit amour ailé, à qui elle tente d’arracher son arc[4]. Dans le dernier dessin de la série (RF 8720, folio 13), rapidement tracé au crayon graphite, Corot donne à sa nymphe des formes généreuses et un déhanché mettant en valeur la courbe de son dos. C’est seulement lorsque la position des deux personnages est fixée que l’artiste entreprend le grand dessin au crayon graphite sur toile du musée de Grenoble, délicatement rehaussé de craie blanche. Laissant les visages et le paysage dans l’imprécision, l’artiste concentre ses effets sur le volume des corps. Ce procédé de dessin sur toile nous est clairement énoncé par l’artiste lui-même, dans un de ses carnets : « Je reconnais d’après l’épreuve qu’il est très utile de commencer par dessiner très purement son tableau sur une toile blanche, d’en avoir auparavant son effet écrit sur du papier gris ou blanc, ensuite de faire partie par partie son tableau, aussi rendu que possible du premier coup afin de n’avoir que très peu de chose à faire lorsque tout est couvert[5]». Si l’on en croît Corot, ce dessin était donc destiné à être recouvert et transformé en toile. Achetée à la vente après décès de Corot en 1875, cette œuvre a été donnée au musée de Grenoble par Léonce Menard en 1890, quelques mois avant sa mort.


[1] Théodore de Banville, « Le Salon de 1861 » dans La Revue fantaisiste, vol. 2, n°10, juillet 1861, p. 235-236.
[2] Cit. dans Robaut, 1905, t. 1, p.168.
[3] Croquis par Corot sur une lettre à Édouard Brandon, 31 mars 1857, repr. dans Robaut, 1905, t.1, p. 169.
[4] Musée du Louvre, département des Arts graphiques, Album Corot 23, RF 8720, folio 3, folio 11 et folio 13.
[5] Cit. dans Marie-Madeleine Auburn, Théodore Caruelle d’Aligny (1798-1871), Catalogue raisonné de l’œuvre peint, dessiné, gravé, Paris, 1988, p. 43.

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