Complexité simple

Vassily Kandinsky est avant tout connu pour être l’inventeur de la peinture abstraite au début des années 10 et comme son premier théoricien, avec en 1911 la publication de Du Spirituel dans l’art. Dans cet ouvrage, l’artiste prône un art libéré de la reproduction du monde visible pour parvenir à une transcription de la sensation intérieure grâce à des formes et des couleurs autonomes. Cette volonté de théoriser sa pratique artistique, que le peintre conservera tout au long de sa vie, n’est sans doute pas étrangère à sa formation initiale en droit et en sciences économiques. Car ce n’est qu’à l’âge de 30 ans, après avoir quitté la Russie pour l’Allemagne, qu’il décide de se consacrer à la peinture. À Munich, il suit l’enseignement du peintre symboliste Franz von Stuck, puis rencontre Gabrielle Münter, elle-même artiste. C’est dans sa maison de Murnau, dans la campagne munichoise, que vont naître en 1911 les premières compositions abstraites de Kandinsky. À la même époque il fonde avec le peintre allemand Franz Marc l’Almanach du Cavalier Bleu. La guerre le contraint à rentrer en Russie mais, dès 1922, il retourne en Allemagne et s’installe à Weimar où Walter Gropius, directeur de l’école du Bauhaus, l’invite à enseigner. Il conserve son poste jusqu’en 1933, date de la dissolution du Bauhaus par les nazis, et s’exile en France. C’est à Neuilly-sur-Seine qu’il passe les dernières années de sa vie et qu’il peint en 1939 Complexité simple. Cette ultime partie de son œuvre, que l’on nomme la période parisienne, voit son style s’orienter vers une sorte de synthèse qui allie le vocabulaire géométrique des années du Bauhaus aux tracés aléatoires et ondulants de la décennie précédente. En outre, sous l’influence de ses lectures d’ouvrages scientifiques sur l’évolution de la vie, tout un répertoire de motifs biomorphes issus de l’univers des cellules et de l’embryologie vient peupler ses compositions. Complexité simple, connue également sous le titre Ambiguïté, est une œuvre représentative de ce dernier style. Sur un fond initialement peint en bleu noir et recouvert partiellement de blanc de manière à ménager un cerne foncé autour des éléments de la composition, l’artiste a associé des formes géométriques et organiques qui se superposent ou s’interpénètrent. Le coloris délicat privilégie les tons rompus dans une gamme pastel et la facture rappelle le pointillisme avec une touche mouchetée qui confère à la surface une vibration particulière. L’ensemble apparaît comme un organisme vivant, baroque et chamarré, qui tente de faire cohabiter les contraires, suscite toutes sortes de rythmes brisés faits d’assonances et de dissonances, pour accéder à une harmonie fugace et ambiguë.