For Gengi

Bridget RILEY
1995 - 1996
Huile sur toile de lin
165,1 x 228,6 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Achat à la Galerie Nathalie Obadia en 2001 par le Fonds national d'art contemporain.
Dépôt au Musée de Grenoble en 2001.

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Exposition En Roue libre, 1er avril-3 juillet 2022

Salle 12

Règle(s) du jeu et combinatoire

La modernité a montré sa fascination pour les abstractions géométriques et pour leur alphabet plastique. Après la période héroïque de la peinture abstraite, il est apparu nécessaire de libérer la peinture de ses lourdeurs idéologiques et historiques (représentation, inspiration, nécessité intérieure). En réaction au lyrisme de leurs aînés modernes, de nombreux peintres affirment dès les années 1960 leur volonté d’évacuer tout style, privilégiant une facture neutre et une hétérogénéité formelle. Chez eux, les formes abstraites témoignent bel et bien d’une posture esthétique et morale bien différente de celles de leurs prédécesseurs.

L’art moderne aimait donc les inventeurs de théories, proclamait l’autonomie de l’art. Des années 1960 aux années 1980 en revanche on voit apparaître, par-delà un retour à la peinture expressionniste, à la «peinture peinture», des artistes pratiquant l’abstraction sur un mode en quelque sorte «décalé». À l’exception certainement d’Aurélie Nemours, les artistes de cette section n’aiment pas les certitudes et les catégorisations. Ils préfèrent combiner, agencer, jouer des permutations, libérer les échelles, ébranler les structures. Leur maître-mot, s’il en est un, c’est le jeu de quilles avec les valeurs, soit l’ouverture, le pluralisme des styles, le primat non plus de la transcendance mais de la jouissance et de la distraction.

Les uns envisagent le monde comme un théâtre, un jeu généralisé d’illusions où la vérité se dissout dans une forme d’allégresse. Devant le constat de l’épuisement du signe moderne, les autres privilégient le principe du détournement, du pastiche ou de la dérision, en adeptes postmodernes du remake, du multiple, de l’aléatoire, du combinatoire.

Aurélie Nemours a commencé sa carrière après-guerre. Représentante de l’art abstrait géométrique, elle a fondé son langage réduit à l’essentiel et constitué de formes noires et blanches sur des rythmes dissymétriques en référence aux avant-gardes. Si elle reste une survivante de cette peinture moderne et radicale, Structure du Silence par son architecture musicale révèle aussi sa capacité à jouer avec l’héritage de l’abstraction historique et à réinterpréter la démarche autonomiste du début du siècle.

Lointain parent de la sérialité mise en avant par l’art minimal, Allan McCollum interroge, avec ses mises en scène parodiques et nostalgiques, les notions d’unité et de diversité, d’original et de copie. À la fin des années 1980, avec ses Perfect Vehicules, ersatz de sculptures, il se moque de la sacro-sainte notion d’original dans des installations ironiquement muséales et répétitives. En concevant des sortes de pastiches - ici des jarres multicolores - il met sur le même plan l’œuvré d’art et la marchandise et met en quelque sorte le musée en boîte.

L’art de Bernard Frize qui analyse, met à plat, décompose la peinture, est fondé sur des protocoles sériels. Depuis 1976, l’artiste envisage de pratiquer toutes les peintures, attaché à remettre littéralement en question la notion de style. L’application stricte de procédés de recouvrement de la toile et la mécanisation du geste (utilisation du traînard, le pinceau le plus fin, bâton à multiples pinceaux etc.) n’exclut néanmoins pas le hasard et le caractère décoratif de sa peinture.

Même si Bridget Riley se défend d’avoir étudié l’optique et les mathématiques, ses compositions méthodiques sont fondées sur la répétition d’un même module. Et la liberté naît chez elle du cadre strict qu’elle s’est imposée. Déterminée précisément, la position de chacune des couleurs est étudiée pour créer des effets de contraste, de dialogue et surtout de mouvement. Le regard circule en répondant aux couleurs qui se font écho. Kaléidoscopique, la couleur est ici dans tous ses états.

Jean-Pierre Bertrand démystifie lui aussi à sa manière l’art du musée en intégrant à sa peinture des composés organiques – miel, citron. Conceptuel d’un genre bien particulier, il adopte les formes de la géométrie sérielle mais cultive en réalité le doute, la délectation, la jouissance esthétique et le métissage des genres.

[Extrait du Journal de l’exposition En roue libre. Balade à travers la collection d'art contemporain du musée, musée de Grenoble, 1er avril-3 juillet 2022]

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