Verso oltremare
(Vers l'outre-mer)

Giovanni ANSELMO
mai 1984
Pierre de Sarisio Antigorio, câble en acier, feuille de papier peint à l'acrylique bleu outremer
315 x 125 x 380 cm
Acquisition :
Achat à la Galerie Micheline Szwajcer en 1985
Institut d'art Contemporain, Villeurbanne/Rhône-Alpes
Dépôt au Musée de Grenoble le 28/02/2005

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[Catalogue de l'exposition Italia moderna. La collection d'art moderne et contemporain italien du musée de Grenoble, 19 mai-4 juillet 2021]

Giovanni Anselmo partage sa vie entre Turin et l’île de Stromboli. Il choisit d’abandonner la peinture le 16 août 1965, alors qu’assistant à un lever de soleil au sommet du volcan, il découvre que son ombre se perd dans l’infini. Dès lors, son travail n’aura de cesse de rendre perceptible un espace qui embrasse l’univers. Archétype de l’artiste « pauvre », tel que l’entend le théoricien de l’Arte Povera Germano Celant, Anselmo réalise des installations constituées de matériaux bruts – bois, fer, végétaux, granit – qui s’attachent à rendre visibles certaines lois fondamentales régissant l’univers, certaines énergies ou processus physiques, comme la pesanteur ou les champs magnétiques en somme. « Moi, le monde, les choses, la vie sont des situations d’énergie […]. Mes travaux sont vraiment la transcription physique de la force d’une action, de l’énergie d’une situation ou d’un événement », affirme l’artiste. Les premiers travaux d’Anselmo, réalisés entre 1967 et 1969, s’intéressent à l’énergie, à la torsion, à la dynamique, au temps et à la durée. Dans un texte de 1968 intitulé « Casi limite » [Cas limites], Germano Celant, envisage son oeuvre comme un « panthéisme énergétique », fondé sur des expériences physiques élémentaires. Pour le critique encore, elle est un « dialogue continu entre être et non-être, mouvement et immobilité, pensée et matière ».

Oltremare a Sud-Est e quattro particolari [Outre-mer au sud-est et quatre détails] est constitué de deux simples parallélépipèdes de béton (l’un est muni d’une boussole, l’autre marqué d’un carré bleu outremer) et d’une projection. Ici, les formes d’Anselmo sont, comme toujours, pures, simples, primaires et, dans le même temps, éminemment symboliques. La pierre exprime la gravité, la durée et le temps. Le petit carré d’outremer est, quant à lui, symbole d’infini. Les projections au mur du mot particolare [détail] disent enfin que cette portion d’espace particulier est là pour signifier un territoire plus vaste. L’oeuvre se prolonge au-delà du périmètre de l’exposition avec la boussole, qui pointe vers l’infini. L’artiste donne donc à voir un lieu sans mesure, battant en brèche l’espace euclidien, et la notion d’échelle. Il révèle un autre type de paysage, détournant les conventions classiques du genre. Anselmo fait advenir une poétique de l’espace à nulle autre pareille. Par cette installation épurée, essentialiste, il exprime enfin la fragilité comme la fugacité de l’existence. Oltremare a Sud-Est e quattro particolari, parce qu’elle interroge notre place dans l’univers, dit en effet la dimension éminemment mélancolique de l’Arte Povera.

L’Arte Povera n’a cessé de chercher à confronter le spectateur à l’élément vivant, à sa nudité (les fagots de Mario Merz, les chevaux de Janis Kounellis…). Sans doute était-il logique que de nombreux artistes de cette tendance s’intéressent ainsi aux pierres et aux roches, « émissaires principaux du monde minéral » (Jean-Christophe Bailly). Parmi eux, Giovanni Anselmo est certainement celui qui interroge le plus profondément le mystère du minéral et du sidéral, l’union invisible des forces reliant la terre et le cosmos. L’artiste fait des pierres un élément essentiel, un leitmotiv de son vocabulaire aux fortes connotations symboliques. Verso oltremare [Vers l’outre-mer] est ainsi constitué d’un immense mégalithe, relié au mur par un câble d’acier, dialoguant avec une feuille de papier peinte en bleu outremer. L’artiste associe peut-être par l’esprit son installation aux grandes stèles dressées en des temps anciens, menhirs de Carnac ou mégalithes de Stonehenge. Dans cette installation, il semble opposer l’intensité terrestre de cet obélisque à l’immatérialité de l’outremer, symbole du cosmos et de l’infini. Les pierres, écrivait Roger Caillois, dans son ouvrage éponyme, « sont d’avant l’homme ». Elles sont en effet plus fortes et plus anciennes que l’homme, espèce fragile et passagère. Elles le précèdent et lui survivent dans leur présence millénaire. Giovanni Anselmo, ici encore, allie énergie et matérialisme pour exprimer avec des matériaux contraires, la fragilité et la solidité, la durée et l’instabilité.

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