Appoggiata alla testa Appoggiata al convesso Appoggiata al concavo Appoggiata al muro Appoggiata alla casa Appoggiata al cervello

Mario MERZ
1977
Verre, néon, mastic, fil, crochets/ventouses, transformateur 220 volts, câble, prise de courant
185 x 435 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Achat à la Galleria Bonomo en 1985
Institut d'art Contemporain, Villeurbanne/Rhône-Alpes
Dépôt au Musée de Grenoble le 28/02/2005

Voir sur navigart

[Catalogue de l'exposition Italia moderna. La collection d'art moderne et contemporain italien du musée de Grenoble, 19 mai-4 juillet 2021]

Protagoniste majeur de l’Arte Povera aux côtés de Giovanni Anselmo, Alighiero e Boetti, Pier Paolo Calzolari, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Marisa Merz, Giuseppe Penone, Michelangelo Pistoletto et Gilberto Zorio, Mario Merz est considéré comme un précurseur du mouvement. Né à Milan en 1925, sensibilisé très tôt par sa mère à la littérature moderne, il vit une jeunesse agitée par les événements de la Seconde Guerre mondiale. Incarcéré dans les geôles fascistes en 1945 alors qu’il n’a que vingt ans, Merz appartient, après-guerre, à un cercle actif d’intellectuels, de poètes et d’artistes turinois. Après avoir abandonné des études de médecine, il s’adonne à l’écriture, au dessin, et commence à peindre en 1953. De ses premiers travaux, contemporains des productions abstraites des artistes américains Ad Reinhardt, Morris Louis, Jasper Johns et Robert Rauschenberg, Merz ne conserve presque rien. Il se sépare de la plupart des toiles réalisées entre 1950 et 1960. La destruction est, selon lui, un processus dynamique et nécessaire : « J’ai perdu presque tout ce que j’ai fait dans les années 50 et presque la moitié de ce que j’ai fait dans les années 60. […] On pensait qu’il fallait dépasser Picasso » (interview de Mario Merz par Jean-Christophe Ammann et Suzanne Pagé, Paris, février, 1981).

Mario Merz expose toutefois ses peintures « informelles » à la galerie La Bussola à Turin en 1953, puis à la galerie Notizie en 1962. On observe des constantes dans cette production de jeunesse : usage de la toile brute, matériau pauvre, grands châssis métalliques, rapidité de l’exécution, peinture au spray se mêlant au dessin au charbon. Les formes organiques, la figure humaine comme le monde végétal – Girasole [Tournesols] (Paris, MNAM) – se partagent alors cette création, innervée par une forme d’élan vital. Souvent violemment expressionnistes avec leurs empâtements de couleurs et leurs entrelacs de couleurs, ces peintures, qui ne sont en réalité jamais achevées, dégagent une énergie vitaliste. Le portrait d’homme de 1960, souvenir du compagnon de cellule des années d’incarcération que l’artiste connut durant la guerre, en témoigne. Inquiétant, ce visage frappe par sa gravité mélancolique. Hypnotique et frontal, ce troublant agrégat de matière a la force des images acheiropoïètes (du grec : αχειροποίητα, littéralement : « non faites de main d’homme »). En cela, c’est une image universelle d’une grande puissance poétique.

Au milieu des années 1960, après une première période consacrée à la peinture, Mario Merz cherche à s’en libérer et à trouver de nouvelles solutions formelles. « En 1966-67, je fais d’étranges choses ; par exemple je prenais mon imperméable et je le transperçais avec une lance de néon, corps de lumière traversant un corps opaque », rapporte l’artiste (interview de Mario Merz par Jean-Christophe Ammann et Suzanne Pagé, Paris, février, 1981). Dès lors, ses productions se parent de préoccupations idéologiques et de questionnements d’ordre socio-politique. Véritable philosophie de l’existence, l’oeuvre de Mario Merz se mue en une quête de nature humaniste. Aspirant à un retour aux origines de l’humanité, elle se dote d’un langage universel, d’une grande force poétique. Déplorant le caractère techniciste et consumériste de la société des années 1960, Merz cherche à recréer le monde de manière sensible. En véritable démiurge, il donne ainsi corps à un nouvel univers, où l’igloo, la table, la spirale, les animaux, les fagots, mais aussi les fruits, deviennent les leitmotive d’une grammaire élémentaire. « Je travaille avec ce que je trouve », affirme Mario Merz (interview par J.-C. Ammann et S. Pagé, Paris, février, 1981). À l’aide d’éléments naturels et manufacturés (verre cassé, limaille de fer, terre et béton), Merz élabore ainsi un art singulier dont la secrète alchimie fait la force.

Appoggiata alla testa, Appoggiata al convesso, Appoggiata al concavo, Appoggiata al muro, Appoggiata alla casa, Appoggiata al cervello [Appuyée contre la tête, appuyée contre le convexe, appuyée contre le concave, appuyée contre le mur, appuyée contre la maison, appuyée contre le cerveau], qui appartient à la série des Appogiati [Appuyés], initiée en 1968, en témoigne. C’est une oeuvre à la signification énigmatique. Une dizaine de plaques de verre sont ici posées sur des pavés de mastic rouge. Leur équilibre semble précaire. L’ensemble de l’installation est scandé par une suite de sentences marquées au feutre et reliées par des néons. Une fois encore, la suite de Fibonnacci (0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13…) vient ponctuer cette construction, rigoureuse et fragile. Merz était fasciné par l’invention du mathématicien italien du XIIIe siècle, Léonard de Pise. « Les nombres qui se multiplient sont aussi réels que les animaux qui se reproduisent », affirme-t-il (Mario Merz, 1970). On retrouve, dans cette oeuvre « ouverte », aussi « construite » que dérisoire, la tension, la dualité entre l’esprit et la matière, habitant constamment l’oeuvre de Mario Merz. Appoggiata convoque un certain nombre de principes, leitmotive chers à l’artiste : l’intellect incarné ici par le cerveau, la matière transparente ou opaque, l’intimité symbolisée par la maison, etc. Comme souvent chez Merz, s’entremêlent ici des notions contradictoires et des symboles complémentaires : l’ordre et le désordre, le statisme et le dynamisme, le géométrique et l’informel, l’ancrage et la fragilité, concepts qui concourent à la profondeur et à la richesse d’interprétation de son oeuvre.

À la fin des années 1950, Mario Merz est considéré comme un peintre informel, alors qu’il expose à Milan et à Turin des peintures à l’huile, caractérisées par une matière dense. Ces toiles révèlent un intérêt majeur pour la nature, comme en témoignent les Foglia [Feuilles, 1952]. Au début des années 1960, l’intérêt que prête Merz à la matière ne se dément pas, avec la réalisation d’une oeuvre inédite, faite de l’accumulation de tous les tubes de peinture trouvés durant une année de travail à Pise.

En 1975, Mario Merz amorce une nouvelle phase de sa peinture. Elle n’est pas sans évoquer sa première période picturale, mais privilégie de plus grands formats qui dialoguent avec l’espace environnant. L’improvisation, l’exécution rapide, la violence de l’écriture et du geste se matérialisent à l’aide de coulées de pigments et de traits de charbon. Merz convoque l’iconographie de l’art pariétal, se réfère volontiers aux cultures ancestrales du bassin méditerranéen. L’anatomie humaine et la figure animale sont alors ses thèmes de prédilection. À l’époque, en Europe et particulièrement en Italie, une nouvelle impulsion est donnée au médium pictural, notamment par le truchement de la jeune génération représentée par la « Trans-avant-garde internationale », tendance défendue dès 1979 par le critique Achille Bonito Oliva.

En 1983, l’année de la création de Cinq Doigts, Merz est récompensé par le prix Oskar Kokoschka, dispensé par la Hochschule für angewandte Kunst de Vienne. La toile, flottante et de grand format, laisse apparaître une main immense, aux allures de paysage montagneux. Le fond vert amande fait ressortir cet immense membre expressionniste fait de coulures bleues et roses. Mario Merz se plaît ici à associer, comme il le faisait au début des années 1970, le corps à des figures mathématiques, révélant la logique cachée des formes du vivant : coquille d’escargot et spirale ; main et suite de Fibonacci. La suite numérique de Fibonacci court en effet le long des doigts de cette main plus grande que nature. Doit-on par ailleurs y voir la « main négative » des grottes pariétales ? À moins qu’il ne s’agisse du « gant retourné du chirurgien » comme l’indique le sous-titre donné par l’artiste ? Merz fait peut-être de facto référence ici aux études de médecine qu’il fit pendant sa jeunesse. Il s’agit probablement enfin tout simplement de la main du peintre. « Je suis sûr que l’artiste est toujours une espèce de démiurge », affirmait Mario Merz.

Découvrez également...