Marat vu de face, le genou droit fléchi, dévoilant sa blessure

Jacques-Louis DAVID
XVIIIe siècle
21,5 x 25 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs Isaure Périer, veuve de M. Aristide Rey, en 1930. Entrée dans les collections en 1931.

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Le dessin, signalé pour la première fois par Propeck en 1993 et étudié par Rosenberg et Prat en 2002, provient de la collection d’Aristide Rey qui possédait également le fragment de frise antique conservé au musée de Grenoble (MG 2615).
Cette vigoureuse étude est préparatoire à l’une des plus importantes réalisations dessinées de David durant la période révolutionnaire, Le Triomphe du Peuple Français. Deux dessins d’ensemble de ce projet sont aujourd’hui connus : le premier, plus esquissé et mis au carreau, est conservé au musée du Louvre[1] et le second, plus aboutie, au musée Carnavalet[2].
Le directeur du musée des Monuments Français, Alexandre Lenoir, qui possédait le dessin de Carnavalet nous informe dans ses Mémoires (1835) que cette : « allégorie relative au système révolutionnaire […] fut commandée à l’artiste par l’autorité pour un rideau destiné à une représentation extraordinaire qui devait avoir lieu à l’Opéra à la suite d’un événement politique ; la musique et les paroles de la pièce étaient analogues au sujet commandé ».
Les conditions exactes de la commande, et la pièce précise à laquelle était destiné ce rideau, demeurent encore sujets à débats. Antoine Schnapper (1980) a proposé d’identifier l’opéra avec La Réunion du six Août ou l’inauguration de la République française de Gabriel Bouquier et Pierre-Louis Moline, joué le 5 avril 1794, quelques temps après la mort de Beauvais, un des « martyrs de la liberté ». La décision du Comité du Salut Public de transférer l’Opéra à la salle du Théâtre National, rue de la Loi le 16 avril 1794, a conduit Schnapper à dater l’exécution des dessins de David entre le 16 avril et le 7 mai 1794. A cette dernière date, Robespierre réactive le culte de deux enfants martyrs, Bara et Viala, qui ne sont pas figurés dans le dessin de David.
La composition est significative de la transposition que fait David des schémas de la peinture d’histoire classique pour célébrer des événements historiques contemporains. Le peintre avait déjà mis en application cette méthode lors de la conception du Serment du Jeu de Paume en 1791. La composition en frise, le char triomphal à l’antique, le dynamisme donné par le mouvement de marche rappellent autant les cortèges mythologiques du XVIIe siècle, comme le Triomphe de Bacchus et d’Ariane d’Annibal Carrache à la galerie Farnèse, que les reliefs antiques que David a étudiés avec passion à Rome (voir notice MG 2615).
Au centre, sur un char trainé par quatre taureaux, trône le peuple français, incarné par un personnage allégorique qui mêle l’iconographie du dieu de la force Hercule à celle des empereurs romains[3] . Il tient sur ses genoux les personnifications de l’Egalité et de la Liberté. A l’avant du char, sont groupés la Science, l’Art, le Commerce et l’Abondance, facilement reconnaissables sur le projet du musée Carnavalet par leurs attributs. De part et d’autre du char allégorique, se présente le peuple. En avant de l’attelage, des citoyens armés de glaives renversent à terre un homme vêtu des habits de la monarchie qui symbolise la Tyrannie. A l’arrière du char, dans une masse compacte, sont regroupés des héros de la liberté, tous victimes des tyrannies de leur temps, tels que Cornélie et ses enfants, les Gracques, Brutus, Guillaume Tell et son fils. Ces modèles révolutionnaires sont suivis des martyrs modernes de la France. Comme le signale Lenoir, on peut y reconnaître « Marat qui découvre sa blessure ; Félix Le Pelletier ; celui-ci montre le coup mortel dont il fut frappé ; Chalier lève le fatal couperet qui fit tomber sa tête à l’échafaud ; d’autres paraissent dans l’éloignement de ce groupe principal ». Si l’on compare les dessins du Louvre et de Carnavalet, l’on note quelques modifications apportées par David dans ce dernier groupe, notamment dans la figure de Marat. Ce dernier est dans un premier temps montré de profil. Finalement, David a décidé de le placer de face pour souligner la force tragique de sa posture. C’est cette modification qui est mise en place dans notre étude. Au verso de l’œuvre, dissimulé par les essais d’encre probablement de la main de David, se trouve une petite tête de profil, coiffée d’un bonnet[4].


[1] RF 71
[2] Inv. I.E.D. 4852.
[3] Cette figure est récurrente dans les représentations révolutionnaires. Citons ici une Allégorie révolutionnaire du musée Carnavalet (Inv. P. 801, voir Bruson et Leribault, 1999, p. 472), représentant un sujet similaire au dessin de David. D’une faible qualité picturale, l’œuvre met en scène Hercule (le peuple français), foulant au pied le Despotisme et le Fanatisme. Hercule est couronné par la France alors que l’Egalité et la Liberté sont amenées par la Sagesse en présence de la Justice et de la Raison. La différence fondamentale entre l’iconographie de cette composition et celle des David est l’absence de figures contemporaines et une mise en page encore fortement liée à l’art du XVIIIe siècle.
[4] Nous signalons ici un dessin à la plume rehaussé de blanc sur papier bleu, classé parmis les anonymes français du XIXe siècle et qui peut être mis en relation avec Le Triomphe du peuple français. Cette feuille (MG D 1938, H. 11,7 ; L. 18,8 cm) reproduit la figure allégorique ailée qui guide le char. La figure de Grenoble, dont le statut demeure problématique (copie ou original?), est plus complète que celle du bassin de Carnavalet. A Grenoble, elle tient dans la main des palmes et gerbes de blé qui ne sont que très légèrement esquissées dans le dessin d'ensemble de la composition.

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