Le Mariage de la Vierge

Jacob JORDAENS
XVIIe siècle
29 x 16,5 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Achat à la vente Kaïeman à l'Hôtel Drouot en 1858

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Les textes apocryphes, comme le proto-évangile de Saint-Jacques ou encore le pseudo- évangile de saint Matthieu, relatent de nombreux détails sur la vie de la Vierge alors que les textes bibliques les ignorent. Une de ces histoires apocryphes concerne le mariage de Marie et de Joseph, sujet très répandu, traité depuis le Moyen Âge, notamment dans des cycles peints consacrés soit à la vie de la Vierge, soit aux sept sacrements. Depuis Giotto à la chapelle des Scrovegni de Padoue, le sujet a trouvé une forme consacrée par les peintres : le prêtre au centre joint solennellement les mains des deux protagonistes qui se trouvent à ses côtés ; parfois Joseph met l’anneau au doigt de sa promise. Vers 1500, le thème a été magistralement représenté par Pérugin (Caen, musée des beaux-arts) et un peu plus tard par Raphaël (Milan, Brera).
Le dessin de Grenoble, exécuté à la pierre noire, à la sanguine et rehaussé d’aquarelle, n’est pas la seule oeuvre de Jordaens consacrée au thème du mariage de la Vierge. Le cabinet des dessins des musées royaux des beaux-arts de Belgique à Bruxelles, conserve un dessin de Jordaens sur le même sujet, préparatoire à un tableau du maître exécuté vers 1660 et conservé dans la même collection[1] (Inv. 118989 et Inv. 8437). Il existe de nombreuses similitudes entre ces deux oeuvres bruxelloises et le dessin de Grenoble dans la composition, le style, la technique, les dimensions, la concentration sur les trois protagonistes, le traitement de l’arrière-plan sous forme d’une salle centrée et les personnages tenant deux bougeoirs autour du prêtre. Le dessin et la peinture des musées royaux de Belgique sont pourtant différents de la composition de Grenoble dans la disposition des personnages car le grand prêtre s’y tient à gauche, place occupée sur le dessin de Grenoble par saint Joseph. Au centre du dessin de Grenoble se trouve le grand prêtre.
Alors que les deux compositions bruxelloises dérivent directement d’un modèle de Rubens, connu aujourd’hui par une gravure de Schelte a Bolswert, il est intéressant de constater que Jordaens revient, avec le dessin de Grenoble, à la représentation traditionnelle du sujet, connue depuis la Renaissance. Il fait ainsi le lien entre les deux oeuvres bruxelloises et un grand dessin conservé à la Biblioteca Reale de Turin, qui montre le mariage de la Vierge au milieu d’une foule nombreuse et dans une architecture imposante[2] (Inv. n°16426 D. C.). S’agit-il d’un modello pour une grande peinture ou pour une tapisserie ? Dans le dessin de Grenoble, saint Joseph est représenté d’une façon plus solennelle que dans la feuille de Turin, où il courbe humblement le dos devant sa future épouse. En effet, celle-ci tient dans l’histoire chrétienne une place bien plus importante que lui.
Le dessin de Grenoble est resté inconnu des spécialistes, ce qui peut surprendre car les onze catalogues du musée, publiés entre 1856 et 1911, le mentionnent. L’oeuvre figurait peut-être dans les collections de Jean de Jullienne[3] et de François Boucher[4] mais ces mentions se confondent éventuellement avec les feuilles sur le même sujet de Turin et de Bruxelles. Plus tard, le dessin de Grenoble est clairement identifiable dans la collection du célèbre historien de la gravure Robert-Dumesnil.
Le Mariage de la Vierge montre bien que, malgré son attrait pour le protestantisme peu avant 1650, Jordaens continue à travailler pour des commanditaires catholiques. Dans les années 1650, il devient avec son épouse membre de la commune réformée d’Anvers, De Brabantse Olijfberg ("Le mont des oliviers brabançons") et il est condamné par les autorités de la ville pour des « écrits scandaleux », c’est-à-dire hérétiques. Comme son épouse, Jordaens est enterré à Putte, juste au-delà de la frontière hollandaise, dans le cimetière protestant[5]. De multiples exemples du XVIe siècle flamand montrent que la conviction personnelle et l’exécution d’une commande artistique étaient deux choses bien distinctes pour les artistes, préoccupés par leur besoin de commandes et d’argent pour faire fonctionner, comme dans le cas de Jordaens, un grand atelier.


[1] Voir D’Hulst, 1974, II, n° A363 et II, pl. VII.
[2] Voir D’Hulst, 1974, II, n° A362 et Sciolla, 2007, n° 17.
[3] Sa vente, Paris, 30 mars-22 mai 1767, n° 527, acquis par « De Bandeville ».
[4] Sa vente, Paris, 18 février-9 mars 1771, n° 228, acquis par Clérisseau mais ne figurant pas dans sa vente après décès.
[5] Voir Tümpel, 1993, p. 31-37.

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