Le Corbeau et le Renard (Le Peintre, le Renard), 1968

Marcel BROODTHAERS
1968
81,3 x 71,8 x 11,8 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Achat à la Galerie Isy Brachot en 1990

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Marcel Broodthaers occupe dans l’art du XXe siècle une place singulière, à mi-chemin entre la poésie et les arts plastiques. Alors que son père, maître d’hôtel, imagine pour lui une carrière de banquier, le jeune Broodthaers choisit de se consacrer à la littérature. S’il ouvre sa propre librairie à la fin des années 40, il s’adonne par ailleurs à divers métiers : photographe de reportage, guide-conférencier et critique d’art. En 1946, Magritte lui offre une copie du poème de Mallarmé, Un coup de dé jamais n’abolira le hasard, qui aura de fortes résonances sur son travail. Une fois ses modèles posés, Broodthaers, qui endosse volontiers le rôle de dandy et de poète romantique, décide, à 40 ans, de devenir artiste. Son premier geste artistique consiste à plâtrer les cinquante exemplaires invendus de son dernier recueil de poèmes Pense-Bête. Sur le carton d’invitation de la galerie Saint-Laurent (Bruxelles) qui expose la sculpture en avril 1964, on peut lire : « Moi aussi, je me suis demandé si je ne pouvais vendre quelque chose et réussir dans la vie. Cela fait un moment déjà que je ne suis bon à rien. […] L’idée enfin d’inventer quelque chose d’insincère me traversa l’esprit et je me mis aussitôt au travail. » Dès lors et pendant douze ans, l’œuvre de l’artiste bruxellois, aussi lucide que subversive, se développe de manière protéiforme – œuvres-objets, films, installations, environnements, éditions – et pose avec acuité la question du rôle social de l’artiste et de la fonction marchande de l’œuvre d’art. Épris de littérature française, Broodthaers présente en 1967 un film, Le Corbeau et le Renard, au Festival de Knokke-Le-Zoute. Le film est projeté sur des écrans de toile émulsionnée présentant une adaptation du texte de La Fontaine : « J’ai repris le texte de La Fontaine et je l’ai transformé en ce que j’appelle une écriture personnelle (poésie). Devant la typographie de ce texte, j’ai placé des objets quotidiens (bottes, téléphone, bouteille de lait) dont la destination est d’entrer dans un rapport étroit avec les caractères imprimés. » Les films et les deux écrans sont édités à des tirages limités. Cette œuvre résume à elle-seule la démarche de Broodthaers. Elle illustre son goût pour la mise en scène d’objets héritée des ready-mades et du Nouveau réalisme, mais il s’agit aussi d’un pied de nez à l’art conceptuel dont il adopte la grammaire afin d’en subvertir la forme avec humour. À partir de 1968 et de la fondation du musée fictif, le « Musée d’Art Moderne, Département des Aigles », dont il se dit le conservateur, Broodthaers fera de l’exposition son moyen d’expression privilégié jusqu’à sa mort en 1976.

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