Le Miracle de l'enfant ressuscité, d'après Domenico Ghirlandaio

Andrea BOSCOLI
XVIe siècle
16 x 27,3 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (dessins devant être exposés sur des cadres tournant autour d'un pivot, n°148)

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Andrea Boscoli est au XVIe siècle florentin ce qu’Ango est au XVIIIe siècle français : tous deux sont des dessinateurs compulsifs, tous deux sont des copistes acharnés, tous deux ont laissé un œuvre graphique important en nombre. Mais à la différence d’Ango, Boscoli ne s’est pas contenté de copier des compositions dues à des maîtres anciens ou contemporains. Il a également dessiné en vue de penser l’ordonnance d’une composition peinte à venir. Il est aussi bien dessinateur que peintre, ce qui veut dire que sa conception du dessin est autant investie d’une fonction heuristique et préparatoire que d’une fonction documentaire et cognitive. Le dessin est pour lui organe de compréhension du monde. Le dessin de Grenoble rentre néanmoins dans la première catégorie mentionnée puisqu’il s’agit de la copie d’une fresque de Domenico Ghirlandaio (1449-1494) peinte dans la chapelle Sassetti de l’église de la Santa Trinita à Florence. Cette fresque représente un épisode de la vie et de la légende de saint François d’Assise, au cours duquel le saint réalise un miracle posthume en ressuscitant un enfant, fils d’un notaire romain, qui s’était tué en tombant d’une fenêtre. Elle fut réalisée entre 1480 et 1485 et occupe le centre de la paroi du fond juste au-dessus du tableau d’autel. Boscoli se fait interprète scrupuleux de la disposition inventée par Ghirlandaio : le dessin est circonscrit d’une ligne de contour présente sur les bords inférieur, supérieur et gauche faisant office de cadre correspondant aux limites de la fresque, quoiqu’il faille préciser que la figure du saint apparaissant dans une mandorle circulaire est tronquée. Boscoli va jusqu’à représenter la partie sommitale du cadre du retable pénétrant dans l’espace de la fresque. Tous les acteurs de l’historia, à l’exception de ceux apparaissant en retrait et indistincts derrière les personnages du premier plan, se retrouvent à leur emplacement exact même si les rapports de proportion des figures entre elles et si les degrés perspectifs ne sont pas fidèlement reproduits. C’est peut-être dans ce détail que l’on reconnaît le mode de conception spatial inhérent à l’habitus rétinien de cette fin du XVIe siècle. La perspective ghirlandaiesque procède d’une façon de faire que l’on retrouve dans nombre de fresques contemporaines : elle est accélérée, c’est-à-dire que le point de fuite se trouve assez haut placé. Du coup, tous les éléments, surtout ceux apparaissant au premier plan, semblent comme rabattus. Ce problème vient du fait que l’emplacement du spectateur idéal est mal établi dans la mise en place du dispositif perspectif. Boscoli respecte en partie cette façon de faire : au deuxième plan et à l’arrière-plan, le champ s’accélère et monte ; mais au premier plan, les objets présentent un état de surface – cela concerne surtout le lit en forme d’autel où l’enfant se relève, ressuscité – beaucoup moins accentué dans leur déclivité. Nadia Bastogi a recensé dans sa monographie toutes les copies dessinées, connues au jour de la parution de l’ouvrage, d’après des compositions dues à des peintres florentins du Quattrocento. Si cinq le sont d’après des fresques de Benozzo Gozzoli, aujourd’hui disparues, peintes au Camposanto de Pise et deux d’après des fresques de Masaccio au Carmine à Florence, aucune d’après des œuvres de Ghirlandaio n’était recensée à ce jour. Connaissant la graphomanie et le souci d’exhaustivité de Boscoli, il est à parier qu’il réalisa des copies de toutes les compositions fresquées de la chapelle Sassetti, aussi bien peintes dans les lunettes que sur les voûtains[1].
On s’est souvent demandé à quelles fins Boscoli s’appliquait à reproduire des compositions tant antiques que modernes, tant peintes que sculptées ou gravées[2]. Ghirlandaio, Masaccio, Gozzoli sont à la fin du XVIe siècle des artistes que l’on respecte mais que l’on ne vénère point. Ils font partie de l’histoire de la peinture florentine. Et c’est à ce titre que l’on va voir leurs œuvres. Mais on ne les étudie pas et on ne les érige pas en modèles comme le sont les œuvres des peintres de la « terza età », c’est-à-dire Michel-Ange et Raphaël. Et si on les copie, comme le fait Boscoli, c’est sûrement dans un esprit documentaire. Boscoli n’était pas seulement un artiste, il était aussi un fin lettré, un poète et, à ses heures, musicien. Il a lu son Vasari. Et c’est peut-être dans une optique historiographique qu’il a réalisé ces copies : mettre des images sur les descriptions de Vasari, faire en quelque sorte du Vasari illustré. Il se pourrait même qu’il ait eu l’intention d’en graver certaines comme tendrait à le prouver l’existence d’une copie en contrepartie d’un des deux dessins connus copiant le Mariage de Jacob et Rachel de Gozzoli[3].


[1] Comme il le fit par exemple pour les décorations fresquées du dôme de Parme ou pour les lunettes de Poccetti et Salimbeni dans le Chiostro Grande de la Santissima Annunziata à Florence.
[2] Boscoli a copié des statues antiques, des statues modernes, des façades peintes de Polidoro da Caravaggio, des gravures nordiques du début du XVIe siècle, des œuvres peintes de Raphaël, Michel-Ange, Andrea del Sarto, Pontormo, Rosso, Beccafumi, Titien, Corrège, Lattanzio Gambara, Annibale Carracci, de s frères Zuccari, Vasari, Muziano, Andrea Lilio, Jacopo Zucchi, etc.
[3] Ces gravures potentielles furent mises en relation avec un projet éditorial du chanoine de la cathédrale de Pise, Giovanni Battista Totti, voir ibidem, p. 119.

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