Jupiter et la chèvre d'Amalthée

Leonaert BRAMER
vers 1655 - 1665
Plume et encre noire, lavis d'encre grise sur tracé sous-jacent à la pierre noire, trait d'encadrement à la plume et à l'encre brune sur papier vergé biege lavé de jaune
33,4 x 28 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3548, n°1806).

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Le peintre de Delft Leonaert Bramer est l’un des artistes hollandais du Siècle d’or qui produit le plus de dessins. On conserve aujourd’hui encore près de mille trois cents feuilles de sa main. Certains de ses biographes – Cornelis de Bie en 1661 et Joachim von Sandrart en 1675 – le désignent d’ailleurs comme dessinateur plutôt que comme peintre. Les feuilles de l’artiste entrent rapidement dans des collections hollandaises, mais aussi allemandes et françaises. Au XVIIIe siècle, on trouve ainsi des oeuvres de Bramer dans des collections aussi prestigieuses que celles de Jean de Julienne, de Pierre-Jean Mariette ou de Pierre Crozat. Les artistes français, au premier rang desquels François Boucher et Jean-Honoré Fragonard, collectionnent aussi ses dessins. Avant tout peintre d’histoire, Bramer réside à Rome entre 1616 et 1627, où il se fait surnommer Leonardo delle Notti, et reçoit dans la Ville éternelle beaucoup d’attention de la part des amateurs d’art. Il y est en outre l’un des membres fondateurs de la célèbre compagnie des peintres nordiques de Rome appelés les Bentvueghels. Après une rixe, qu’il a peut-être provoquée et au cours de laquelle Claude Lorrain – tentant de s’interposer – est blessé, Bramer quitte la ville et rentre aux Pays-Bas. Il devient membre de la guilde des peintres de Delft en 1629 et fait une belle carrière, notamment au service du stathouder Frederik Hendrik.
L’une des particularités de l’oeuvre de ce dessinateur prolixe est la production de séries de dessins représentant les différents épisodes d’histoires bibliques, mythologiques ou littéraires. Dans le catalogue de l’exposition consacrée à Bramer à Delft en 1994, Michiel Plomb publie une liste des différentes séries qui avaient jusqu’alors pu être identifiées. Celle-ci ne compte pas moins de quarante-deux ensembles (certains pouvant comprendre jusqu’à cent quarante feuilles) et l’on y trouve les deux dessins de Grenoble respectivement sous l’histoire de Théagène et Chariclée (MG D 175)[1] et sous une suite de scènes mythologiques[2]. De cette dernière, six dessins ont pu être identifiés sur un total qui a dû s’élever au moins à soixante-huit feuilles, ainsi que l’indique le numéro porté sur le dessin conservé Brunswick. Ils sont réalisés sur des papiers blancs, bleus ou préparés en jaune, et l’oeuvre grenobloise appartient à cette dernière catégorie : la feuille a été colorée avec une préparation ocre passée au pinceau ou à l’éponge sur l’ensemble de la surface.
C’est là une singularité de l’art de Bramer car, comme le souligne Michiel Plomp[3], ce type de préparation jaune est fort rare dans l’art hollandais de l’époque. Joseph Meder, dans son ouvrage de référence sur l’art du dessin, cite d’ailleurs l’artiste pour ses papiers lavés de jaune et de vert[4]. Ces feuilles permettent sans doute à Bramer d’apporter une agréable variation dans les séries qu’il compose. Sa production dessinée diffère en outre par une autre particularité de la pratique alors commune, et surtout répandue chez ses collègues italiens, qu’il a pourtant longtemps côtoyés : très peu de feuilles de l’artiste sont préparatoires à d’autres oeuvres[5]. Ses dessins sont généralement des produits finis, destinés au marché de l’art ou à des commanditaires.
Le sujet que Bramer représente ici semble bien être le jeune Jupiter, encore nourrisson, grandissant sur le mont Ida, en Crète, auprès de la nymphe Amalthée qui l’abreuve du lait d’une chèvre (selon certaines sources antiques, Amalthée est le nom de la chèvre elle-même)[6]. Si Bramer a renoncé aux satyres qui peuplent généralement cette iconographie, il n’est pas le seul, puisque Nicolas Poussin en fait de même dans son tableau conservé à la Gemälde Galerie de Berlin.
Le catalogue de Delft date notre dessin des années 1655-1665, période d’intense production de séries dessinées, caractérisées par un trait enlevé, des compositions plus équilibrées, une touche et des lavis plus adoucis que dans ses oeuvres des années 1640[7].


[1] Delft, 1994, série n° 27, p. 316.
[2] Ibid., série n° 42, p. 318.
[3] Plomp dans ibid., p. 197.
[4] Meder, Ames, 1978, I, p. 35.
[5] Voir Plomp, dans Delft, 1994, p. 197.
[6] Le catalogue de Delft ne mentionne pourtant pas cette iconographie qui avait été publiée par Marcel Roethlisberger (Grenoble, 1977, n° 25), mais désigne la scène comme « deux femmes nourrissant un enfant dans un paysage ».
[7] Plomp, dans Delft, 1994, p. 197.

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