Etude d'anges musiciens

Friedrich SUSTRIS dit Federicho di Lamberto SUSTRIS (entourage de)
XVIe siècle
Plume et encre brune, lavis d'encre gris-bleu, gouache blanche, mise au carreau sur-jacente à la pierre noire, trait d'encadrement à la plume et à l'encre brune de forme irrégulière sur papier crème détouré et doublé
25,9 x 16,1 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (carton sans numéro, n°2329).

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Attribuer ce dessin revient à rentrer dans des histoires de famille. Ses caractéristiques stylistiques le placent incontestablement dans une communauté d’infra-manières, dérivant d’un faire propre à Friedrich Sustris. Ce peintre est une figure singulière. Il est à Munich pour le duc Guillaume V ce que Vasari fut à Florence pour les Médicis : il s’occupe du détail de tous les arts. Il donne des modèles, conçoit des projets, les contrôle et les gère. Il joue le rôle d’un intendant des arts et d’un pourvoyeur de dess(e)ins. En 1586, un décret ducal établit que tous les artistes de la cour devront travailler sous sa direction. C’est justement auprès de Vasari à Florence où il se trouve entre 1563 et 1567, et sous les ordres duquel il travaille, qu’il apprit, à son contact direct, son futur rôle de « directeur artistique ». En 1568, il quitte définitivement l’Italie où il est né – son père, peintre également prénommé Lambert, d’origine hollandaise, s’était établi à Venise – pour Augsbourg, où il travaille d’abord pour Hans Fugger, et pour Munich.
Pour répondre aux nombreuses commandes du duc (décor fresqué de l’Antiquarium et du Grottenhof à la Résidence de Munich, retables de l’église des Jésuites dédiée à saint Michel à Munich, décor du château de Landshut), il s’entoure d’une kyrielle d’assistants, de collaborateurs et d’élèves : des sculpteurs comme Hubert Gerhard, des peintres confirmés comme Pieter de Witt dit Peter Candid, dont le prénom et le patronyme sont italianisés en Pietro Candido, Hans von Aachen, Christoph Schwarz. Certains de ces artistes sont allés en Italie ou s’y rendront par la suite, ce qui signifie que tous ces décors et peintures, ainsi que la matière stylistique des dessins fournis par Sustris, sont fortement imprégnés d’italianismes. Le duc lui-même entretient avec quelques cours italiennes des rapports très étroits, en particulier celles des Gonzague à Mantoue et des Della Rovere à Urbin. D’autres artistes moins confirmés –mais certains deviendront par la suite des peintres de première importance – sont aussi connus comme Alessandro Paduano, Antonio Ponzano, Antonio Maria Viani (1560 ?-1630) né à Crémone, arrivé à Munich vers 1586, et qui ensuite s’installe en 1592 à Mantoue pour devenir prefetto delle fabbriche des Gonzague à l’image de son maître, Carlo Santner, son beau-fils, Adam Krumper (1540-c. 1625), sculpteur et son fils Hans (c. 1570-1634), sculpteur aussi et également architecte et concepteur de décor, ou encore HansWerl (c. 1570-1608), peintre ayant travaillé tout d’abord avec Paduano. Sustris tisse avec certains d’entre eux des liens familiaux : il se marie avec la soeur de Paduano, Brigida, Antonio Maria Viani épouse une de ses filles, Livia, et Hans Krumper épouse en 1592 une autre de ses filles.
Si le dessin de Grenoble ne peut revenir à Hans von Aachen, ni à Peter Candid ni encore à Christoph Schwarz dont on connaît bien l’œuvre graphique respectif, ce n’est bien évidemment pas le cas pour les autres artistes dont nous venons de citer les noms. D’Antonio Maria Viani, on connaît cependant bien sa manière de faire depuis quelques années grâce à la publication d’une partie de son fonds d’atelier conservé à Teplice. Mais la plupart de ces dessins datent de sa période mantouanne et présentent un faire contenant des signes sustriens en très faible proportion. Les quelques dessins qui lui sont attribués datant de la période munichoise sont sujets à caution[1]. Sergio Marinelli serait toutefois enclin à lui attribuer la feuille grenobloise. La découverte d’un dessin passé récemment en vente[2] aurait pu régler ce problème d’attribution.
Celui-ci appartient très certainement au même dossier génétique. La forme du papier d’œuvre, détouré autour d’une ligne de circonscription faisant office de cadre, est quasiment la même (elle est seulement inversée par rapport à celle de Grenoble) et le sujet étudié, identique puisqu’il s’agit également d’anges musiciens. Tous deux présentent une graticulation surjacente. La seule différence notable réside dans l’emploi d’un lavis gris-bleu pour le dessin londonien et d’un lavis brun pour le dessin Sotheby’s. Dans le catalogue de vente, ce dessin est attribué à Hans Krumper, autre sustrien, plus sculpteur que peintre mais qui conçut des décors. Quelques-uns de ses dessins sont en effet assez proches, tout comme le sont ceux de Hans Werl dont un en particulier, attribué récemment, étudiant tout autant des anges musiciens pourrait être mis en regard[3]. On voit combien tous ces dessins attribués à différents collaborateurs de Sustris constituent de véritables casse-tête attributifs.
La découverte du dessin passé en vente à Londres en 2005 permet cependant de confirmer l’hypothèse émise dans le catalogue de vente d’une étude pour des volets d’orgue. La forme des dessins va dans ce sens et l’iconographie des anges musiciens convient particulièrement à l’ornementation de cet instrument de musique. Reste à savoir si ce projet de décor peint ornait l’avers ou le revers des panneaux qui étaient ouverts lorsque l’orgue était joué. La présence sur les deux dessins sur les petits côtés d’une ligne ressautée laisse penser que son concepteur avait l’intention d’installer les charnières à cet endroit, ce qui voudrait dire que les deux dessins étudient des compositions qui devaient être peintes sur les revers des volets.
Nous n’avons malheureusement pas trouvé de volets d’orgue en rapport. Signalons toutefois l’existence de deux panneaux oblong et circulaire en ivoire encastrés sur l’orgue de la chapelle impériale de la Résidence à Munich représentant tout comme sur les dessins de Grenoble et de Sotheby’s des anges sur des nuées jouant du luth, de la viole de gambe, de la viole de bras, de la flûte, du trombone à coulisse, de l’orgue positif. Ces panneaux sont attribués à Alessandro Paduano. Ils ont sûrement été peints à partir de dessins de Sustris. C’est surtout dans une gravure de Jan Sadeler, d’après une invention de Peter Candid, que l’on retrouve des poses et des attitudes comparables[4]. Peter Candid y a placé dans la partie supérieure tout un groupe d’anges musiciens, faisant de cet espace le lieu d’un véritable concert céleste. Il peut sembler curieux de mettre dans ce catalogue un dessin, très certainement réalisé en Bavière dans les années 1590, par un artiste de l’entourage de Friedrich Sustris. Cette présence a simplement pour fin de montrer combien les échanges stylistiques étaient fréquents entre l’Italie et la Bavière, tout comme l’étaient les voyages d’artistes italiens, nordiques et germaniques ; ces connections et ces liens étroits allant toutefois dans le sens d’une hégémonie de l’Italie dans le domaine à la fois du style, de la conception de la peinture et de l’organisation des chantiers.


[1] Voir notamment un dessin conservé à l’Accademia à Venise, inv. 2528, préparatoire à une fresque du Grottenhof dans le Palais ducal de Munich (la Résidence). On sait par des documents que Viani fut amené à travailler sur cette fresque sous la direction de Sustris entre juillet et octobre 1587. Giulio Bora lui attribue et la fresque et le dessin. D’autres versions dessinées sont connues (une notamment à Innsbruck, Tiroler Landesmuseum Ferdinandum, inv. NR. DM 29, attribuée avec un point d’interrogation à Sustris).
[2] Sotheby’s, Londres, le 5 juillet 2005, lot 26. 29,3 x 15,3 cm. Plume et encre brune, encre grise, lavis d’encre brune, mise au carreau à la pierre noire. Ce dessin provient de Brno en Moravie. Mentionnons l’existence d’un autre dessin qui, à notre avis, pourrait appartenir au même dossier. Ce dessin est conservé au Hessischen Landesmuseum de Darmstadt et étudie cinq anges musiciens.
[3] Ce dessin est conservé à Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, inv. Nr. Hz 4113.
[4] On pourrait faire appel à deux autres œuvres de Candid. Il s’agit de deux peintures représentant une Vierge de l’Assomption (Landsberg am Lech, Neues Stadtmuseum) datant de 1593 et une Vierge à l’Enfant sur un nuage entre saint Benoît et saint François (Augsbourg, église des Saints-Ulrichet- Afra). Des anges musiciens sont peints de part et d’autre de la Vierge.

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