Le Songe

Henri FANTIN-LATOUR
1854
45 x 55 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de Victoria Fantin-Latour née Victoria Dubourg en 1921, entré dans les collections en 1926
Localisation :
SA22 - Salle 22

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Daté du « 29 juillet 1854 » comme l’atteste une inscription se trouvant au dos du tableau, Le Songe est considéré comme la première « oeuvre d’imagination » de Fantin, alors âgé de dix-huit ans. Cette datation précoce, remise en cause à plusieurs reprises, est cependant corroborée par les témoignages de Léonce Bénédite et du premier biographe de l’artiste, Adolphe Jullien, qui ont tous deux côtoyé Fantin de son vivant. Elle est réaffirmée par Mme Fantin-Latour en 1911 dans son catalogue raisonné. Cependant, Bénédite, comme Jullien, voit dans cette oeuvre « une esquisse » plutôt qu’un tableau abouti. « Il y a aussi une esquisse d’un Songe, datée du 29 juillet 1854, qui est extrêmement instructive en ce qu’elle montre déjà toute tracée la voie des fantaisies dans laquelle Fantin s’engagera plus tard », note-t-il en 1906. Offerte à Louis-Marc Solon, son condisciple et ami rencontré en 1850 dans l’atelier d’Horace Lecoq de Boisbaudran, devenu céramiste et directeur de la Manufacture de Sèvres avant d’émigrer définitivement en Angleterre à partir de 1870, cette peinture sera retrouvée à Sèvres chez un brocanteur par Félix Bracquemond et rendue à Fantin en 1880. Elle restera ensuite dans l’atelier de l’artiste jusqu’à sa mort avant d’être léguée par sa veuve au musée de Grenoble en 1921.
Si Le Songe n’est pas exempt de maladresses, l’inscription des corps dans l’espace par exemple, il contient pourtant en germe tout ce qui fera le succès des oeuvres d’imagination de l’artiste dans les années 1890 : le thème du rêve, de la féerie, de la rencontre entre un homme et une nuée de figures féminines nues, le tout bercé par le son de la musique et traité dans un langage pictural flou et vaporeux. Les références aux maîtres du passé y sont nombreuses, comme on peut s’y attendre dans la production d’un si jeune artiste, habitué à copier les chefs-d’oeuvre du Louvre : Titien et Giorgione pour le nu féminin du premier plan, Pierre-Paul Prud’hon pour la figure de l’ange au centre, dont l’attitude n’est pas sans rappeler celle de la Victoire ailée surmontant le berceau du roi de Rome. Mais c’est avec l’oeuvre du Lyonnais Louis Janmot, le Poème de l’âme, cycle narratif et poétique relatant le parcours d’une âme, présenté à Paris au printemps 1854, que Le Songe présente le plus d’affinités. Comme l’a souligné Élisabeth Hardouin-Fugier, Fantin emprunte au douzième tableau du cycle, L’Échelle d’or, son thème et sa composition, mais substitue au groupe d’anges venus visiter le couple endormi un essaim de figures profanes, naïades et bacchantes parées de bijoux et jouant de divers instruments. Quant au geste de l’unique ange au centre, mains ouvertes en signe d’offrande, il est identique à celui de l’Enfant Jésus dans un autre panneau du poème, Souvenir du ciel.
Il faudra à Fantin-Latour trente-cinq ans pour rendre publique cette première oeuvre d’imagination, pour redonner vie à cette esquisse sous une autre forme pour qu’elle affronte le regard des critiques. En 1889, il réalise un dessin du Songe, directement calqué sur le tableau. Le calque, de mêmes dimensions, est mis au carreau pour permettre son agrandissement. L’artiste en tire ensuite un pastel qui figurera au Salon de 1889, sous le numéro 3782. La seule modification notable qu’il effectue concerne la figure masculine, le dormeur étendu en bas à droite. Nu dans l’esquisse et vu de profil, il est désormais habillé et regarde le spectateur. Fantin réalise alors un dessin d’après modèle sur calque , où il étudie plusieurs postures. Le personnage est toujours nu, mais a tourné la tête vers la gauche. Le pastel n’a pas été conservé, mais, une fois transformé en peinture à l’huile, il figurera au Salon de 1893 sous le numéro 681. Arsène Alexandre louera dans ce tableau « les trouvailles de lignes et des harmonies de couleurs » et « la pensée vraiment haute et poétique ». Un autre auteur dira du Songe, qu’il rebaptise Le Rêve: « C’est une vision délicieuse, où le charme de l’art s’ajoute à la magie du sujet » (cité dans Chevillot, 1995).

[Cat. exp. Fantin-Latour : à fleur de peau, Musée du Luxembourg, musée de Grenoble, 2016-2017]

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