Le soleil à carreaux

Leonardo CREMONINI
1980 - 1982
65 x 153 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Achat à la Galerie Claude Bernard en 1983

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[Catalogue de l'exposition Italia moderna. La collection d'art moderne et contemporain italien du musée de Grenoble, 19 mai-4 juillet 2021]

Né à Bologne en 1925, dans un milieu modeste – son père est cheminot et peintre amateur –, Cremonini n’est pas baptisé Leonardo par hasard. Très tôt encouragé à peindre, il sera l’élève de Guglielmo Pizzirani à l’école des Beaux-Arts de Bologne et poursuivra ses études à l’Académie des Beaux-Arts de Brera à Milan avant de réaliser une thèse sur la peinture pompeïenne. En 1951, Cremonini quitte sa ville natale, alors dominée par la présence solitaire de Giorgio Morandi, pour s’installer à Paris. Ses lithographies, gravures et peintures livrent dès lors un art narratif, où les lieux anodins (chambres, plages et rues) forment le décor d’une comédie humaine en huis clos. Cremonini se passionne pour ce que le philosophe marxiste Henri Lefebvre appelait la « quotidienneté ». Dans sa peinture, la réalité semble épiée à travers le trou d’une serrure. L’intimité et les intérieurs, qui inspirent au philosophe Gaston Bachelard la matière de sa Poétique de l’espace, deviennent littéralement une obsession. Ainsi, multipliant les peintures de couloirs, de salons et de chambres à coucher, l’artiste cultive des ambiances où règne une forme d’« inquiétante étrangeté » nourrie par ses souvenirs d’enfance. Poursuivant son oeuvre singulière, en marge des mouvements mais au confluent du surréalisme, de la Pittura metafisica et de la Nouvelle Figuration, Cremonini a séduit de nombreux écrivains et philosophes, dont Louis Althusser, Alberto Moravia, Italo Calvino, Umberto Eco et Michel Butor qui sont devenus des commentateurs de son art.

Ainsi que le souligne Umberto Eco, pour Cremonini, « le tableau est une fenêtre ». En témoigne Le Soleil à carreaux peint en 1980-82, où l’on observe certaines constantes de son art : bord de mer, atmosphère estivale et mélancolique, vues méditerranéennes conçues en larges bandes stratifiées. On retrouve notamment ici l’étrangeté de ses compositions où règne « l’obsession des partitions verticales, chambranles, fenêtres, portes, encadrements, piliers et autres » (Alberto Moravia, « Les vacances de Cremonini », in cat. exp., Galleria Il Gabbiano, Rome, 1972). Ici, s’offre à nos yeux un intérieur en apparence paisible, laissant deviner l’intimité d’une famille. Pourtant, la présence mystérieuse du tricycle d’un enfant, qui n’est pas sans évoquer l’effrayant épisode du film Shining de Stanley Kubrick, crée un certain malaise, une tension dramatique. Vide et silencieux, ce paysage marin, estival et idyllique, où « les lèvres de l’horizon [bavent] le ciel et la mer » (Michel Butor) conserve toutefois, grâce à ses couleurs acidulées et ses irisations, une grande puissance onirique. Il évoque peut-être les deux années que l’artiste passa enfant en Calabre en 1936, alors que son père venait d’y être nommé. Notons que les coulures, striant la surface de la toile, révèlent les lois du hasard et de l’Inconscient que souhaitait mettre au jour Cremonini.

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