Etude d'homme renversé

Alexandre LAEMLEIN
1846
32,5 x 45,8 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Don de la Société des amis du musée de Grenoble en 1995

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« Malgré ses défauts, des incorrections, des négligences, M. Laemlein a ce don suprême en art : il fait grand. Une énorme toile ne lui coûte rien à remplir, il la couvre d’un seul coup, sans accessoire, sans artifice d’atelier » déclare Théophile Gautier à propos de L’Échelle de Jacob lors de sa présentation à l’Exposition Universelle de 1855[1]. Il est vrai que cette toile – tout comme la plupart des œuvres de cet artiste d’origine allemande – est caractéristique de cette peinture religieuse qui ne résulte pas d’une commande pour une église particulière. Son unique destination est, après les cimaises du Salon, de rejoindre les murs d’un musée, seul édifice susceptible d’en assurer la présentation en raison de sa taille monumentale. L’Échelle de Jacob _, présentée au Salon de 1847, est achetée par l’État après la mort d’Alexandre Laemlein en 1871 et envoyée au musée de Grenoble où elle se trouve toujours. Le sujet, emprunté à la Genèse (28), raconte l’histoire de Jacob, parti de Bethsabée pour rejoindre Harâm : « Il arriva d’aventure en un certain lieu et il y passa la nuit. […] Il eut un songe : voilà qu’une échelle était plantée à terre et que son sommet atteignait le ciel et des anges de Dieu y montaient et y descendaient ». Le traitement iconographique – qui place Dieu le Père au centre de la composition – est audacieux et vaudra à l’artiste des critiques élogieuses de Paul Mantz et Théophile Gautier. Tous deux saluent l’originalité des attitudes des personnages : « Jacob, oppressé par le divin cauchemar, dort renversé à terre dans une pose raccourcie d’une hardiesse extrême »[2], remarque Gautier quand Mantz souligne que « les figures sont d’un mouvement parfois juste, souvent exagéré »[3]. Cette étude d’homme renversé, au drapé savant – directement préparatoire à la figure de Jacob – illustre parfaitement ces propos. D’un trait énergique et sûr, Laemlein trace les lignes de son personnage à qui il donne une pose torturée, les bras levés, la tête en arrière posée sur un rocher recouvert d’un linge dans une attitude directement empruntée à la figure de saint Paul dans _La Conversion de saint Paul du Caravage[4]. Il use à merveille de la teinte du papier comme d’une troisième couleur, jouant admirablement avec les tons chauds de la sanguine et les accents lumineux de la craie blanche. Un autre dessin, sur papier bleu (MG 1995-1-1 ), également conservé à Grenoble, a sans doute été réalisé peu avant sur modèle vivant. L’artiste a semble-t-il hésité plusieurs fois sur la position des jambes de son Jacob, et en particulier la jambe gauche qu’il finira par replier dans le tableau final. La formation académique de Laemlein, acquise auprès d’Henri Regnault et François-Édouard Picot à l’École des beaux-arts de Paris à partir de 1829, lui offre des bases solides pour la réalisation des grandes machines qu’il présente régulièrement au Salon. Cet artiste né en Bavière et naturalisé français en 1835, échoue pourtant au prix de Rome, ce qui ne l’empêche pas de recevoir des commandes officielles : portraits historiques pour les galeries de Versailles et décoration murale pour l’église Sainte-Clothilde. Il meurt dans la misère juste après le Siège de Paris. Ses peintures religieuses à l’iconographie complexe sont sauvées de la raideur académique par une gamme colorée éclatante, une composition savante et dynamique et par un goût prononcé pour les poses maniéristes de ses figures, toutes qualités qui le rapprochent incontestablement des Romantiques « Tout cela est traité avec une fougue, une inspiration et une puissance rares » s’extasie Gautier[5]. Sa production graphique est admirable, et en particulier ses études de figures où se lit une grande sensibilité souvent absente de la plupart des feuilles d’études académiques des artistes de l’époque. Le musée de Grenoble conserve onze dessins de Laemlein, dont sept préparatoires à L’Échelle de Jacob, tous achetés par la société des Amis du musée auprès d’un antiquaire d’Orléans en 1995.


[1] Théophile Gautier, « M. Laemlein », Les Beaux-arts en Europe, 1ère série, Paris, 1855, chap. XXIII, p.296.
[2] Gautier, op. cit., p.40.
[3] Paul Mantz, Salon de 1847, Paris, 1847, p.81-82.
[4] Michelangelo Merisi dit Le Caravage, La Conversion de saint Paul, entre 1600 et 1604, Rome, église de Santa Maria del Popolo.
[5] Théophile Gautier, op. cit., p.296

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