Berger se penchant en avant
Ce dessin représentant un berger, conservé sous
le nom d’Abraham Bloemaert, revient en fait
à son fils, Hendrick Bloemaert. Avec les deux
dessins d’Abraham Bloemaert (MG D 670 et MG D 1679),
cela fait trois feuilles dans la collection qui
sont données à cette illustre famille d’artistes
travaillant à Utrecht. Le musée conserve aussi
la monumentale toile de l’Adoration des Mages
de 1623, l’un des chefs-d’oeuvre de l’artiste
(MG 87), qui décorait à l’origine le maître-autel
de l’église des Jésuites de Bruxelles.
Finement tracé à la pierre noire, ce dessin
possède les traits stylistiques caractéristiques
d’Abraham, mais une certaine timidité, une
plus grande attention prêtée aux détails et un
manque de vigueur suggèrent qu’il s’agit d’une
feuille revenant à son entourage. Cadré aux
genoux, le berger s’inscrit parfaitement dans
la feuille au papier bleu qui n’a sans doute pas
été coupée. Hendrick Bloemaert, artiste peu
connu, fut étudié par Marcel Roethlisberger
en 1993. Comme son père, il est resté fidèle
à l’église catholique et il décore à plusieurs
reprises des lieux de culte dans les Pays-Bas
indépendants. Soumise à une grande discrétion
et interdite de toute action publique,
l’église catholique est pourtant tolérée dans les
Provinces-Unies et compte toujours de nombreux fidèles, plus adeptes des écrits théologiques
tolérants un peu antérieurs, d’Érasme
de Rotterdam ou de Dirck V. Coornhert, que
du militantisme de la contre-réforme romaine.
À l’église Saint-Cornelius de Limmen, près
d’Alkmaar, se trouve une Adoration des bergers
d’Hendrick Bloemaert[1] que prépare le
dessin de Grenoble. Un berger très
similaire tenant un bâton y contemple l’Enfant
Jésus. L’artiste utilise ce dessin à plusieurs
reprises, en particulier dans une Adoration
des bergers, datée de 1659 et conservée dans
la vieille église catholique d’Amersfoort. En
revanche, le berger y est vu sous un angle légèrement
plus frontal.
L’artiste est né à Utrecht vers 1601-1602 et il est
attesté à Rome entre 1626 et 1631. Il collabore
ensuite avec son père à plusieurs grandes commandes
religieuses et il continue à en recevoir
après la disparition de celui-ci en 1651. Joachim
von Sandrart, qui a rencontré Hendrick à
Rome vers 1630, le qualifie de bon dessinateur
mais pense qu’il n’a pas véritablement pu faire
une grande carrière à cause de son manque de
confiance[2].
Les dessins certains de Hendrick Bloemaert
sont rares et l’influence des oeuvres de son père
y est encore très présente. Le British Museum
conserve un dessin d’Abraham Bloemaert qui
trace déjà dans les grandes lignes la composition
adoptée par son fils dans l’Adoration des
bergers de Limmen, (Inv. FF 4.99)[3]. Ainsi, le berger
d’Hendrick Bloemaert, dans le dessin de Grenoble,
emprunte ses traits à l’un des personnages
de ce dessin d’Abraham.
Hendrick Bloemaert exécute dans les années 1630
des demi-figures masculines et féminines qui
lui assurent une certaine célébrité car elles
sont souvent gravées. Même si le mouvement
caravagesque n’occupe plus la première place
sur la scène artistique européenne, ces oeuvres
prouvent qu’il y a toujours à l’époque des acheteurs
sensibles à cette tendance. C’est dans ces
oeuvres qu’Hendrick Bloemaert montre tout
son savoir-faire artistique et il est intéressant
de rapprocher le dessin de Grenoble de ces
fameuses demi-figures.
[1] Voir Roethlisberger, 1993, I, p. 489, n° H113, repr.
[2] Heinrich ware ein guter Zeichner konnte aber seine Klückskugel nicht vernünftig genug fortschieben, dahero diese Blum unter den Hecken der Zaghaftigkeit ersticket. Voir Sandrart, 1679, partie II, livre III, p. 298.
[3] Voir Popham, 1932, n° 5, repr.
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