Alina Szapocznikow. Langage du corps

Aujourd’hui considérée comme l’une des artistes les plus importantes du XXe siècle, Alina Szapocznikow (1926 à Kalisz, Pologne – 1973 à Paris, France) n’a bénéficié d’aucune exposition dans son pays d’adoption, la France, hormis celle organisée en 1973 au musée d’art moderne de la Ville de Paris et celle dédiée à son Œuvre dessiné au Centre Pompidou en 2013.
Le musée de Grenoble présente, en partenariat avec le Kunstmuseum Ravensburg, un parcours de près de 150 œuvres de 1947 à 1973. L’exposition Alina Szapocznikow. Langage du corps permet d’appréhender toute la carrière de l’artiste en mettant l’accent sur la période de maturité des années 1960-70. Dans son œuvre, mêlant érotisme et traumas, le corps est le principal sujet d’inspiration. Sculptrice, elle s’attelle à toutes sortes de matériaux, aussi bien classiques, que plus novateurs, résine de polyester et mousse de polyuréthane. Héritière du Surréalisme, contemporaine des artistes du Pop art et du Nouveau Réalisme, elle contribue avec indépendance, en seulement deux décennies, au renouveau de la sculpture.

Troublante, bizarre, baroque, existentielle, informe et érotique, l’œuvre de la sculptrice franco-polonaise Alina Szapocznikow, longtemps incomprise, échappe à la classification. Consacrant son œuvre au corps, elle exprime à travers lui tant la puissance de l’érotisme que la fragilité de nos existences. L’exposition comprenant plus de 15 salles se subdivisera en deux parties. La première sera consacrée à ses années de création à Prague (1945-1951) et en Pologne (1951-1962). Issue d’une famille juive, Alina Szapocznikow survit, adolescente, à la Shoah et à sa détention dans les camps de concentration. Après la Seconde Guerre mondiale, en pleine possession d’un langage formel marqué à la fois par le modernisme tchèque, le Surréalisme et l’art informel, elle participe à la reconstruction d’un monde plus équitable, soumet son œuvre à l’esthétique du Réalisme socialiste, répond à des commandes publiques, et donne corps à des créations marquées par une forme d’existentialisme.

Alina Szapocznikow réalise l’essentiel de son œuvre de maturité en France où elle s’installe en 1962. Elle s’attelle à déconstruire la figure humaine. Le corps fragmenté devient le cœur de sa production sculpturale et graphique. Inventant une forme de grammaire érotique, une mythologie personnelle où le désir côtoie la mort, l’artiste conjure ses peurs, exorcise ses traumatismes. À travers ses Lampes-bouches, la série des Desserts et des Ventres-coussins, elle imagine une production en série formée de fragments corporels sensuels et troublants, interrogeant la place de la femme dans la société des années 1960. Son intérêt pour l’informe et le hasard prend une autre forme avec l’ensemble des Photosculptures (1971) dans lesquelles des chewing-gums mastiqués par l’artiste elle- même sont photographiés comme des sculptures traditionnelles. À partir de 1969, atteinte d’un cancer du sein, Szapocznikow, se focalise sur la mémoire, les traumas et la finitude dans sa série tardive Souvenirs (1970-1971) puis dans celle des Tumeurs (1969-1972). Constituées de résine, de photographies froissées, de journaux et de la gaze, ces œuvres évoquent la maladie qui progresse. Elles témoignent aussi de l’inébranlable courage et de la vitalité artistique qui n’ont cessé d’animer l’artiste.

Par la singularité comme par l’érotisme qui imprègne son œuvre, l’artiste a été comparée à Louise Bourgeois et à Eva Hesse. Après les expositions Georgia O’Keeffe (2015) et Cristina Iglesias (2018) organisées au musée de Grenoble, il s’agit de mettre en lumière l’œuvre d’une femme artiste pionnière longtemps négligée par l’histoire de l’art.