Portrait de Jacques Sarrazin, sculpteur

Jean Raymond Hippolyte LAZERGES dit Hippolyte LAZERGES
1856
32,4 x 22,4 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3555, n°1123)

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Natif de Narbonne, Hippolyte Lazerges quitte sa ville natale pour l’Algérie à l’âge de treize ans. Ce n’est qu’en 1838, à la faveur de son service militaire, qu’il revient en France et s’installe à Paris. Après une première formation dans l’atelier du sculpteur David d’Angers, il suit jusqu’en 1843 l’enseignement du peintre François Bouchot. Si ses premières participations au Salon dès 1841 sont surtout des portraits, il se tourne très vite vers la peinture religieuse, avant de devenir, après son retour en Algérie en 1861, un peintre exclusivement orientaliste. Les compositions qu’il envoie régulièrement au Salon ne sont pas exemptes d’un certain pathos et s’inspirent visiblement de l’univers spirituel des peintres du XVIIe siècle comme Eustache Lesueur ou Philippe de Champaigne. Lazerges présente ainsi au Salon de 1866 L’Évanouissement de la Vierge dans le palais de Pilate. L’expression de sa Vierge, pâmée, les yeux tournés vers le ciel, n’a rien à envier à celles peintes en leur temps par les artistes des règnes de Louis XIII et de Louis XIV. Ce goût du XVIIe siècle se lit aussi dans quelques tableaux de genre historique consacrés à des artistes dans leur atelier, thème très en vogue dans la peinture depuis les années romantiques. Son tableau le plus célèbre dans ce genre est sans doute L’Albane dans son atelier de 1856, conservé au musée des Beaux-Arts de Narbonne [1], qui montre l’artiste italien en méditation devant trois jeunes enfants jouant sur un tapis, sortes de putti ayant quitté l’espace du tableau pour prendre vie dans la pièce de travail. Ce tableau, présenté au Salon en 1857, a été acheté par l’État. Le dessin de Grenoble, figurant un sculpteur du XVIIe siècle, a été réalisé la même année, comme nous l’indique l’inscription qui figure au-dessous de la signature. Grâce au catalogue de la vente de ses propres œuvres organisée par l’artiste en 1858, il a été possible d’identifier le modèle : il s’agit en effet de Jacques Sarrazin, principal sculpteur du règne de Louis XIII et ami de Simon Vouet [2]. Ce dessin préparatoire est à mettre en relation avec le tableau sur le même thème présenté par Lazerges à Toulon en 1858 au Salon de la Société artistique du Var. Dans le Moniteur des Arts du samedi 18 décembre, on peut ainsi lire, dans la recension de ce Salon de province, parmi « les peintres parisiens [qui] sont en assez grand nombre ; M. Hippolyte Lazerges, Jacques Sarrazin dans son atelier, appartenant à M. G. Pellicot » [3]. Monsieur Gustave Pellicot était percepteur des contributions et membre de la Société artistique des Bouches-du-Rhône. Ce tableau est aujourd’hui perdu. Plus que le processus créatif à l’œuvre dans l’atelier de l’artiste – le tableau peint par L’Albane ne nous est pas montré et la sculpture de Sarrazin est à peine ébauchée – ce qui séduit Lazerges dans ce type d’images est bien le champ ouvert à l’imagination pour donner vie à ce passé révolu. Il s’agit en effet de récréer les traits d’individus dont on ne possède aucun portrait fiable, à l’exception, pour Sarrazin par exemple, de plusieurs gravures anciennes qui montrent le sculpteur âgé avec un visage assez disgracieux[4]. L’attrait pour des costumes somptueux, la recherche de la juste coiffure ou de la bonne manière de porter la moustache, ne sont sans doute pas étrangers au goût des artistes du XIXe siècle pour les sujets tirés de l’histoire, comme nous le confirme Étienne-Jean Delécluze dans un texte contemporain de notre dessin : « Les peintres d’anecdotes recherchent surtout les sujets tirés de l’histoire des seizième et dix-septième siècle. Le pittoresque des costumes de ces époques est peut-être ce qui les allèche le plus[5]. » Dans cette feuille, Lazerges apporte en effet un soin tout particulier à la blouse du peintre et à la chemise à manches bouffantes et à col rabattu qu’il porte au-dessous, délicatement rehaussée de craie blanche. Le visage tourné vers le spectateur emprunte ses traits aux gravures connues de Sarrazin tout en les rajeunissant.


[1] Hippolyte Lazerges, L’Albane dans son atelier, Narbonne, musée des Beaux-Arts.
[2] Vente de dessins et croquis par M. H. Lazerges, vente les 12 et 13 février 1858, Paris, 1858, p. 5, n° 25 « Jacques Sarrazin, sculpteur ».
[3] Moniteur des Arts, revue des expositions et des ventes publiques, 1re année, n° 7, samedi 18 décembre 1858, (M. R. Fleury, rédacteur en chef), Paris, 1858, p. 50.
[4] En particulier Charles Nicolas Cochin, Jacques Sarrazin l’Aîné de Noyon, Sculpteur ordinaire du Roy et Recteur en son Académie de Peinture et de Sculpture, Estampe, 1731, Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon, inv. LP29 bis.115.1.
[5] Étienne-Jean Delécluze, Les Beaux-Arts dans les Deux Mondes en 1855, Paris, 1856, p. 267.

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