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Gustave DORÉ
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix

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C’est en caricaturiste que Gustave Doré entre dans la carrière artistique en 1847, à l’âge précoce de quinze ans. À partir de cette date et pendant huit années, le jeune homme va collaborer avec l’éditeur Charles Philippon[1], lui fournissant un nombre considérable de caricatures et de vignettes satiriques pour le Journal pour rire. Il excelle en particulier dans les séries dessinées sur un thème comme « La saison des vacances » ou les récits de voyage pleins de péripéties comme « Voyage sur le Rhin »[2]. Avant de mettre sa verve au service de Philippon, le jeune artiste a déjà à son actif de nombreux dessins, souvent humoristiques, où il se moque par exemple de la société bressane, et quelques projets d’albums comme Histoire de Calypso vers 1844-1846. Les dessins d’illustration, plus aboutis et plus sérieux, sont donc rares dans sa production de jeunesse et cette feuille recto-verso, précisément signée et datée d’avril 1846, permet de découvrir les germes d’un talent qui s’épanouira au fil des années. Car le registre de ces deux compositions est clairement celui de l’illustration, même si les textes mis ainsi en image n’ont pu être retrouvés. Le paysage de forêt mystérieuse au verso évoque une scène de chasse et de campement de nuit, autour d’un feu dont le rougeoiement est perceptible derrière la silhouette du chasseur. Si la mise en espace et les proportions manquent encore de rigueur, on trouve déjà dans ce paysage tous les ingrédients qui feront le succès de Gustave Doré illustrateur : la magie des forêts profondes, la lumière mystérieuse, l’imaginaire. La technique employée a de quoi surprendre, l’artiste usant de l’encre noire comme d’une peinture qu’il gratte ensuite pour retrouver la lumière, faisant ressurgir la couleur blanche du papier. Quelques voiles d’aquarelle – bleue pour le ciel, rouge pour les flammes – viennent donner une légère coloration à l’ensemble. Les sapins, tombant dans leurs branches basses et étêtés, semblent animés d’une vie inquiétante. On ne peut que songer, devant ce dessin, au témoignage rapporté par Blanchard Jerrold dans sa biographie de Gustave Doré, relatant la fugue de ce dernier à l’âge de sept ans dans les bois du mont Saint-Odile: « Le murmure des arbres, comme une lamentation, semblait lui faire reproche ; il voyait dans l’amoncellement des nuages un signe de mauvais augure et le rugissement du vent dans la vallée lui faire l’effet d’une meute de loups qui approchait[3]. » La restauration de ce dessin a permis de découvrir au verso une composition inédite et inachevée mettant en scène trois personnages dont un gendarme coiffé de son bicorne. Là encore, la scène n’a pu être identifiée, mais cette figure de gendarme se retrouve presque identique deux ans plus tard, en 1848, dans une page du Journal pour rire consacrée à la « Saison des vacances »[4].


[1] Charles Philippon est aussi le directeur de La Caricature et du Charivari.
[2] « La saison des vacances » in Journal pour rire, 26 août 1848 et « Voyage sur le Rhin », in ibid., 9 mai 1851.
[3] Blanchard Jerrold, Life of Gustave Doré, Londres, 1891, p. 13.
[4] « La saison des vacances », op. cit.

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