Rue à Berlin

George GROSZ (Georg Ehrenfried GROSS, dit)
1931
92,5 x 140,2 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Don de M. Alfred Flechtheim en 1934
Localisation :
SA33 - Salle 33

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L’œuvre de George Grosz est, avec celle d’Otto Dix, l’une des plus virulentes qui soient apparues en Allemagne au lendemain de la Première Guerre mondiale. Dès 1916, au cœur d’un Berlin en guerre, à l’instar de John Heartfield, l’artiste anglicise son prénom et adopte la langue de Shakespeare en signe de protestation. Figure éminente du mouvement dada, Grosz se surnomme alors Propagandada et se fait connaître par ses compositions mécanomorphes, qui disent l’horreur d’une humanité désincarnée et avilie par le conflit. Il assouvit par ailleurs sa passion pour le dessin satirique dans des portfolios tels que Ecce Homo, Gott Mit uns _(1919) et _Pinsel und Schere (1922) dont la verve et le trait acerbe lui valent amendes et procès. Dès ses premières peintures, Metropolis ou Hommage à Oskar Panizza (1916-1917), Grosz aime à représenter dans un style cubo-futuriste l’atmosphère chaotique de la métropole berlinoise et l’enfer de la grande ville. En 1931, il s’agit encore de « mordre dans son époque » et de « tendre un miroir à [ses] contemporains pour qu’ils voient leur gueule ». Avec Rue à Berlin, Grosz semble abandonner l’esthétique de la Nouvelle objectivité [Neue Sachlichkeit], courant pictural né en 1924 sous la houlette de Gustav Hartlaub, pour une peinture foncièrement expressionniste. Dans un décor informe et sombre se détachent trois silhouettes féminines, deux prostituées et une élégante berlinoise au boa. C’est la nuit et seule est illuminée la vitrine d’une boucherie qui dit la barbarie passée et à venir. Sombre et voûtée, la Mort rôde dans une longue robe noire. La femme qui avance telle une somnambule dépoitraillée a, semble-t-il, troqué son visage contre celui d’un porc. « Je n’attends plus rien […] de positif du genre humain » écrit l’artiste. À l’instar de La Rue (1915, Staatsgalerie, Stuttgart) et de À bas Liebknecht (1919, collection privée), Rue à Berlin s’inscrit dans le sillage des images de métropoles peuplées de mutilés de guerre, de bourgeois ignobles et de filles publiques. L’esthétique expressionniste du tableau se fonde sur un sentiment de confusion et de discontinuité de l’espace. C’est une Allemagne à la dérive, croquée dans un style graphique, volontiers grotesque. Cette peinture fait écho à l’inquiétante mégalopole imaginée par Fritz Lang dans Metropolis (1927) ainsi qu’aux villes expressionnistes dépeintes par Ludwig Meidner et Ernst Ludwig Kirchner. En 1933, année où les nazis accèdent au pouvoir et où il émigre aux États-Unis, Grosz écrit à un ami : « Il ne fait aucun doute que mes œuvres expriment avec une force extrême ce que l’on a dit contre une certaine brutalité allemande […] Aujourd’hui, elles sont plus vraies que jamais […] et plus tard, en des temps plus humains, on se les montrera comme on se montre aujourd’hui les œuvres de Goya. »

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