Le Café

Alberto MAGNELLI
1914
166,7 x 200 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Don de Mme Susi Magnelli en 1974
Localisation :
SA28 - Salle 28

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[Catalogue de l'exposition Italia moderna. La collection d'art moderne et contemporain italien du musée de Grenoble, 19 mai-4 juillet 2021]

Le jeune peintre florentin Alberto Magnelli s’impose très tôt comme une figure singulière et inclassable. En 1907, il commence à peindre en autodidacte. Membre fondateur de la revue Lacerba, il est proche des cercles futuristes italiens de Florence. C’est lors d’un premier séjour à Paris avec le peintre Aldo Palazzeschi, au cours de l’hiver 1914-1915, qu’il s’engage dans la voie de l’abstraction. Mais, sa vie durant, il garde en mémoire la grandeur des maîtres du Trecento et du Quattrocento, éprouvant notamment une profonde fascination pour l’oeuvre de Piero della Francesca. « Il m’a fait comprendre le jeu des vides et des pleins. À partir de lui, j’ai senti que mon art, mes tableaux devaient toujours tendre vers l’architectural », confie-t-il. C’est grâce à Apollinaire, l’auteur des Peintres cubistes (1913), que Magnelli découvre, à Paris, les ateliers de Matisse, Picasso, Léger, Gris, Léger et Max Jacob. Féconde, l’année 1914 est celle où il peint 70 tableaux, dont le style singulier annonce son cheminement à l’écart des écoles et des mouvements. À mi-chemin entre abstraction et figuration, la peinture de l’artiste se construit d’emblée comme cosa mentale.

Magnelli se familiarise avec la vie des cafés en arrivant à Paris. Par son thème – un instantané urbain où l’on entrevoit entre autres un serveur et une jeune femme –, par son coloris et son dynamisme, cette toile pourrait rattacher l’artiste à ses contemporains et compatriotes futuristes. Mais le style adopté est des plus singuliers. Dans ce grand tableau, les personnages sont schématiques et réduits à l’essentiel – ombrelle ou chapeau –, et la manière est volontiers synthétique. L’artiste prend ses distances avec le réel en imaginant une composition très rythmique et une gamme colorée très vive. Ici, Magnelli cherche à suggérer le mouvement dans l’espace. Dans cet art de la synthèse et de l’ellipse, le dessin est aussi important que la couleur. Entre figuration et abstraction, Le Café affirme clairement le dessin comme ossature, au point d’évoquer la compartimentation du vitrail. Contemporain de Paysan au parapluie (1914, cat rais. n° 69) et de L’Homme à la charrette(1914, cat rais. n° 33), Le Café est emblématique de ce que Magnelli nommait lui-même la « demi-figuration » où priment l’usage de l’aplat, l’enchevêtrement de plans colorés et les cernes noirs. Loin de la sécheresse de l’abstraction géométrique, l’aspect plan et décoratif du Café n’est pas sans évoquer l’oeuvre de Matisse, dont Magnelli a visité l’atelier lors de son premier séjour parisien.

Progressivement, Magnelli abandonne ce chromatisme heurté, pour des tonalités plus sourdes et plus douces. Quand en 1915, il revient en Italie pendant la Première Guerre mondiale, il inaugure sa période abstraite. Elle annonce le travail de collage qui suivra dans sa production, où les ciseaux remplacent la plume et le crayon, au cours des années 1940 et 1950. Son répertoire et sa sensibilité auront une grande influence sur la génération des peintres des années 1970.

À la fin des années 1920, Magnelli vit une période de doute qui le conduit à abandonner complètement la peinture. Il ne recouvre son inspiration qu’avec la série des Pierres réalisée à Paris entre 1931 et 1936. C’est la découverte de fragments de marbre taillés dans les carrières de Carrare qui donne une nouvelle impulsion à son oeuvre. Fuyant le fascisme, quittant l’Italie, l’artiste figure alors, aux côtés de Vassily Kandinsky, Sonia Delaunay, Georges Vantongerloo, César Domela ou encore Auguste Herbin, au rang des principaux représentants de l’art parisien non figuratif.

La série des « pierres éclatées » marque donc un tournant dans l’oeuvre du peintre. Exposées en 1934 à la galerie Pierre Loeb, dans une manifestation intitulée Trente Pierres, ces minéraux, qui flottent, énigmatiques, dans un espace indéterminé, révèlent paradoxalement les qualités de constructeur de l’artiste. Leurs formes, à la fois douces et heurtées, confèrent une dimension lyrique et dramatique à ces peintures, qui lui valent toute l’estime de Jean Arp et de Jean Hélion. À l’occasion de l’exposition qui lui est consacrée à la galerie René Drouin, en novembre 1947, Arp écrit, pour la préface du catalogue : « Par l’esprit, la forme et la couleur, les toiles de Magnelli sont celles des premiers hommes, des premiers penseurs et des contemplateurs de la nature. » Michel Seuphor admire alors en l’artiste le « peintre abstrait le plus important de Paris », à mi-chemin entre le lyrisme de Kandinsky et la rigueur d’un Mondrian. L’année 1936 marquera pour Magnelli un retour définitif à l’abstraction, mais loin des chemins balisés. Il préfère d’ailleurs au terme, qu’il juge trop académique et codé, celui de « peinture inventée ». Refusant d’appartenir à un quelconque mouvement, tels Cercle et Carré ou Abstraction-Création, l’artiste poursuit, seul, ses recherches expérimentales, et, de 1936 à 1965, en vient dans ces ultimes productions à recourir à toutes sortes de matériaux (ardoise d’écolier, métal et carton).

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