Allégorie en l'honneur de la descendance des Gonzague-Nevers

Giovanni Benedetto CASTIGLIONE dit IL GRECHETTO (atelier de)
XVIIe siècle
Huile sur un tracé à la pierre noire sur papier vergé crème doublé
22,8 x 34 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (dessins devant être exposés sur des cadres tournant autour d'un pivot, n°162)

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Le statut de ce dessin reste problématique. Est-il pleinement autographe et s’insère-t-il dans une suite de dessins préparatoires appartenant à un même dossier génétique, ou a contrario est-il l’œuvre d’un assistant du peintre, ce qui aurait pour conséquence (potentielle) de l’exclure de ce même dossier génétique? Lorsqu’il a été publié et reproduit pour la première fois en 1981 par Mary Newcome, son caractère autographe ne semblait pas faire de doutes. La studiosa le mettait en relation avec une peinture de Giovanni Benedetto Castiglione représentant de manière allégorique le couple souverain du duché de Mantoue et son héritier. Deux versions de ce sujet sont connues. L’une est de format octogonal[1], l’autre de format quadrangulaire[2]. Le dessin de Grenoble fut considéré comme préparatoire au format quadrangulaire. Effectivement, si l’on compare l’ordonnance de la disposition dessinée avec celle peinte, presque tous les éléments s’y retrouvent, la peinture permettant même de préciser mimétiquement parlant le caractère schématique des objets dessinés : le cercle au centre est ainsi une sphère armillaire, les traits parallèles et incurvés, juste à l’aplomb, entre la jambe de la figure dextre et les pans de la robe de la femme à senestre correspondent à une feuille de papier déroulée, les lignes ondoyantes tracées sous le pied de la figure masculine forment le corps d’un canard mort, les ailes déployées, plus en haut, tout près de la tête de cette même figure, est placé un instrument de musique à cordes, en dessous se trouve une armure et un carquois contenant des flèches, les deux traits parallèles au centre dessinent une colonne devant laquelle se voit une autre figure masculine et la ligne horizontale ombrée d’ocre derrière la femme évoque un monument funéraire, un vase enfin se découvre devant la figure féminine. Cet inventaire de formes dont le caractère mimétique est activé grâce au jeu des comparaisons conduit à formuler deux hypothèses contradictoires : soit le dessin constitue une étude finale précédant le tableau, ce qui ferait de lui une sorte de mise en place définitive de l’ordonnance de la composition, soit il s’agit d’une reprise réalisée a posteriori d’après le tableau ou un autre dessin, par le peintre lui-même ou par un membre de son atelier. Cet entre-deux statutaire est difficile à départager sauf à faire intervenir une forme de jugement de goût. C’est ce qu’Ezia Gavazza s’est permis de faire en qualifiant le dessin de Grenoble de « debole » (« faible »). Il est vrai que si l’on compare le ductus somme toute rigide des traits avec celui souple et énergique que l’on constate sur les trois dessins pleinement autographes conservés à Windsor[3], Budapest[4] et Hambourg[5], appartenant au dossier génétique des deux versions peintes, force est de reconnaître que le dessin de Grenoble présente une facture schématique et synthétique sentant la copie.
Le mot est écrit. Le dessin n’est pas pour autant condamné à être rejeté dans les limbes des réserves du musée (il fait tout de même l’objet de cette notice). Ce terme amène en fait à s’interroger sur la fonction potentielle de la feuille. Deux explications, elles aussi divergentes, peuvent être avancées. Le dessin est soit un ricordo enregistrant la forme d’une composition, destiné à un usage interne à l’atelier. Et c’est cette explication que nous privilégions. Soit il pourrait s’agir d’une feuille destinée à un amateur. L’atelier de Castiglione concevait des feuilles de grand format combinant des techniques diverses (huile, gouache, pastel) donnant à la fois l’effet visuel d’une peinture riche en couleurs et l’aspect esquissé du dessin, destinées vraisemblablement à orner des cabinets. Mais la facture sèche et l’état d’imprécision générale du dessin de Grenoble ne plaident pas pour une telle explication.
Ce sont en fait toutes les pièces du dossier préparatoire qui posent problème et, par ricochet, c’est la fonction même du dessin chez Castiglione qu’il faudrait interroger. Charles Dempsey, dans la recension de l’exposition monographique de Philadelphie consacrée à l’œuvre graphique du peintre génois, s’était demandé s’il ne fallait pas considérer les dessins de Castiglione comme des œuvres en soi conçues comme des montages de figures issues du répertoire de l’artiste. Dempsey parlait plus particulièrement des dessins associés au tableau célébrant la famille des Gonzague- Nevers. Ces remarques peuvent être utilisées comme une hypothèse de travail. Si l’on compare en effet entre eux les trois dessins existants[6], on constate que tous trois développent des idées de disposition différentes pour chacune d’entre elles, comme s’il s’agissait de trois compositions différentes. Le dessin de Budapest montre ainsi une ordonnance dans le sens de la hauteur. On pourrait croire qu’il est coupé. Il n’en est rien. Les trois figures y sont dessinées en entier selon une disposition différente à la fois des peintures et des autres dessins. Les deux dessins de Windsor et de Hambourg développent en revanche une composition dans le sens de la longueur. Seul le dessin de Windsor pourrait être considéré comme une étude préparatoire en lien direct avec les deux peintures. Car à quelques détails près, la disposition générale y est trouvée. Quant au dessin de Hambourg, il est à se demander s’il ne prépare pas un autre tableau tant l’expression de l’idée générale se trouve modifiée et nuancée. C’est ainsi que la figure masculine assise ne désigne plus le groupe de la femme à l’enfant mais une sorte de monument funéraire, sur lequel sa main est en train de tracer des lettres, rapprochant du coup la composition du tableau octogonal intitulé Temporalis Aeternitas, lequel tableau[7] forme un pendant avec la version de même format de l’Allégorie des Gonzague. Il ne s’agit plus là de célébrer les vertus de la famille ducale et de glorifier sa descendance assurée, mais d’inviter à méditer sur le temps qui passe et sur la mort (c’est le thème poussinien des bergers d’Arcadie). Mais c’est peut-être là que réside le « génie » de Castiglione (pour reprendre le titre d’une de ses eaux-fortes datant de 1648, où il se représente en jeune homme tenant la trompette de la Renommée, dans une pose qu’il réutilisera pour la figure masculine de gauche présente sur les dessins et les tableaux), capable de jouer sur les dispositions afin de varier et d’enrichir les sens possibles de ses inventions, capable aussi de recycler des dispositifs iconographiques appartenant à d’autres sujets. Il n’avait été ainsi jamais remarqué que la disposition des figures de la version en longueur reprenait celle du Repos pendant la fuite en Égypte. Ce déplacement et ce transfert de dispositif ne s’effectuent pas seulement dans un sens stricto sensu formel. Le mouvement qui s’opère entre les deux ordonnances s’accompagne tout autant du transfert partiel de son contenu sémantique. Castiglione associe ainsi implicitement, de manière typologique pourrions-nous dire, les figures de la famille ducale avec celles de la famille de l’Enfant Jésus. Tout comme la Vierge et Joseph se reposent, après que l’Enfant eut échappé au massacre ordonné par Hérode et après avoir acquis la certitude que sa vie est sauve, Carlo II Gonzaga Nevers, 9e duc de Mantoue, et sa femme la duchesse Isabella Clara, posent dans un cadre naturel avec leur fils Ferdinando Carlo né en 1652, dormant sur les genoux de sa mère. La figure allégorique du duc désigne d’un geste ostentatoire, placé juste au centre du tableau, l’enfant, qui assure à la maison régnante des Gonzague-Nevers sa descendance, l’héritier qui permet au couple, en fait, de pouvoir se reposer, entouré de tous les objets symboliques associés à leurs vertus et à celles de l’enfant (les fleurs et les fruits : la beauté et la fécondité de la duchesse ; la trompette et le laurier : la renommée et la gloire du duc ; les instruments des sciences et des arts, sa vie contemplative…).
E. Gavazza date le tableau (version en longueur) du début des années 1660 ; le dessin de Grenoble doit dater des mêmes années.


[1] Gênes, collection particulière.
[2] Gênes, collection particulière.
[3] Windsor Castle, Royal Library, inv. 4052.
[4] Budapest, SzépmüvészetiMùzeum, inv. 2296.
[5] Hambourg, Kunsthalle, Kupferstichkabinett, inv. 21565.
[6] Nous laissons de côté la feuille d’études d’Oslo combinant plusieurs groupes de figures mis en relation avec plusieurs compositions peintes.
[7] Los Angeles, J. Paul GettyMuseum.

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