Paysage avec personnages. Plombières

Gustave DORÉ
1875
25,7 x 36,7 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs du Docteur Jean-Baptiste Fuzier en 1880

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Le drame de Gustave Doré est de s’être toujours défini comme un peintre et de ne devoir sa célébrité qu’à ses illustrations (voir Lac dans les sapins _ et _Néophyte _ ). « J’illustre aujourd’hui pour payer mes couleurs et mes pinceaux. Mon cœur a toujours été dans la peinture », confesse-t-il en 1873[1]. L’abondance de sa production graphique – caricatures et dessins humoristiques, vignettes de récits de voyage ou illustrations au service des textes littéraires les plus prestigieux – a longtemps fait oublier que Gustave Doré s’est essayé à tous les genres de la peinture : peinture religieuse de très grand format, portrait, scène de genre espagnole, peinture énigmatique à sujet allégorique et enfin paysage. Grand voyageur, parcourant l’Écosse et l’Espagne, la Suisse et les Pyrénées, l’artiste est fasciné par le spectacle grandiose de la nature, le chaos vertigineux d’un gouffre de montagne (voir _Torrent coulant entre les rochers _), les profondeurs lugubres d’un lac écossais ou le mystère romantique d’une forêt alpine. Dans ses peintures comme dans ses aquarelles, Gustave Doré excelle à conférer à la nature un sentiment, une dimension quasi mystique. Le réel, finement observé, est toujours chez lui transfiguré par l’imaginaire. « Il peint en plein rêve, même lorsqu’il s’appuie sur une réalité », lui reproche Émile Zola en 1880 à propos de ses paysages[2]. Dans cette aquarelle, léguée par le docteur Jean-Baptiste Fuzier en 1880 – en même temps que le grand dessin du _Néophyte _ et le tableau du _Lac en Écosse après l’orage _[3] –, Gustave Doré choisit de représenter les environs de Plombières-les-Bains, une station thermale très en vogue sous le Second Empire. Deux élégantes, vêtues de robes bleues, évoluent dans un sentier sinueux tracé dans un sous-bois aux pins élancés, pointant vers le ciel leurs silhouettes spectrales. Au loin, se dessine la ligne bleue des montagnes vosgiennes, baignée d’une lumière liquide. Seule l’inscription de l’artiste permet de localiser la scène. Gustave Doré séjourne à Plombières en 1875, décidé à ne plus revenir dans sa région natale, l’Alsace, annexée par les Allemands. Il retrouve là, dans les Vosges, l’atmosphère mystérieuse des forêts qui ont bercé son enfance : « Il n’existe nulle part de forêts aussi belles qu’ici. La végétation y est d’une richesse et d’un grandiose qui dépasse tout ce que j’ai vu. […] Les paysages de ce pays font songer à ces forêts enchantées que peint l’Arioste et aux jardins fabuleux du Tasse », écrit-il dans une lettre à une femme en 1866[4]. À Plombières, Doré privilégie l’aquarelle, technique qu’il a perfectionnée lors de son voyage en Écosse deux ans auparavant. Le creux des chemins moussus, les allées d’arbres séculaires, les sous-bois comme dans _Promeneuses dans un bois de sapins (conservé au musée des Beaux-Arts, Marseille), le fascinent plus que l’animation touristique de la station thermale, avec son cortège de curistes bourgeois et aristocratiques. Dans l’aquarelle de Grenoble, aussi intitulée Promenade d’élégantes curistes dans le parc autour de la station de Plombières, les deux figures féminines, vêtues de robes à la mode du temps, apportent une touche de grâce et de modernité dans un paysage intemporel, sans aucune trace d’occupation humaine.


[1] Blanche Roosevelt, Life and Reminiscence of Gustave Doré, New York, 1885, p. 402 (rééd. en français en 1887).
[2] Émile Zola, « Le naturalisme au Salon, Le Voltaire, 18-22 juin 1880 », in Émile Zola, Salons, Genève/Paris, 1959, p. 253.
[3] MG 711.
[4] 19 septembre 1866, musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, DOR 1992/3-027.

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