Le Christ en croix entre les trois Marie et saint Jean l'Evangéliste

Ercole PROCACCINI dit IL GIOVANE (attribué à)
XVIIe siècle
Sanguine, trait d'encadrement partiel rapporté à la pierre noire sur papier vergé beige
20,2 x 15,6 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1914 (lot 2942)

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Le parcours attributif de ce dessin a été long et tortueux avant que l’on n’arrive à une proposition vraisemblable mais non complètement satisfaisante. L’annotation ancienne, datant certainement de l’extrême fin du XVIIe siècle et mentionnant le nom de Guido Reni, a pendant un certain temps induit en erreur le regard et le jugement. Certes, il y a dans ce dessin quelque chose de bolonais qui pourrait faire penser à Reni ou à l’un de ses épigones, comme Simone Cantarini. Mais cette caractéristique constitue un fonds commun stylistique à nombre d’artistes ayant œuvré en Italie du milieu du XVIIe siècle à sa fin, aussi bien à Rome qu’à Venise ou Milan, tant sa manière s’est répandue. Il fallait donc oublier Bologne. Pour aller où? Venise pouvait être une solution. Et nous avons de ce fait regardé, comparé, mis en relation cette feuille avec les productions de la plupart des peintres de la lagune de la seconde moitié du XVIIe siècle (Andrea Celesti, Antonio Zanchi, Sebastiano Ricci, Antonio Pellegrini, Nicolo Grassi) jusqu’à celles de Giambattista Piazzetta et d’Antonio Guardi (!), sans qu’aucun de ces noms nous convainque réellement, même si parfois nous avons été tentés de rentrer en force avec une proposition d’attribution précise (cela concerne le nom de Nicolo Grassi). C’est en fait Milan qui semble devoir être retenu. Nous l’affirmons comme s’il s’agissait d’une compétition entre plusieurs villes. C’est pourtant après avoir longuement mis en relation les dessins, tout en écoutant attentivement les avis des uns et des autres (voir pour cela la rubrique « Attr. » de la notice technique), qu’il nous est apparu qu’il fallait placer cette feuille dans cette cité. Cette façon d’assigner le dessin par lieu peut sembler artificielle, et ce d’autant plus que nous avons eu du mal à nous orienter, ce mot étant à prendre bien entendu au sens géographique du terme. Cette difficile géographie du dessin est peut-être due au fait que le dessinateur qui en est à l’origine n’est peut-être pas aussi solidement ancré à Milan que ne serait le dessin. C’est à un des membres de la dynastie des Procaccini que nous pensons pouvoir attribuer cette feuille. Or, les Procaccini sont originaires de Bologne. Camillo (1561-1629) s’est formé dans cette ville où il fut l’un des concurrents et rivaux d’Annibale Carracci. Il s’installe à Milan définitivement en 1587. Son père, Ercole le Vieux (1520-1595), et ses frères Giulio Cesare (1574- 1625) et Carlo Antonio (1571-1630), tous peintres, le rejoignent. Ercole le Jeune, né dans la cité d’adoption de sa famille, est le fils de Carlo Antonio. Mais c’est surtout auprès de Giulio Cesare qu’il se forma ; sa manière graphique lui est d’ailleurs redevable. Le dessin de Grenoble s’en ressent. Les lignes multidirectionnelles de la figure de saint Jean l’Évangéliste et les hachures continues sur les drapés et le fond se retrouvent ainsi sur bon nombre de dessins de Giulio Cesare. Ce qui l’en différencie réside dans l’adoption de proportions plus mesurées : les figures sont moins élancées et surtout les visages et les mains se réduisent dans leur envergure et leurs dimensions. C’est à la fois dans ces détails et dans la configuration générale que se lit un souvenir ou des affinités avec la (supra)manière régionale bolonaise. Pourtant le dessin de Grenoble n’est pas caractéristique de la manière habituelle d’Ercole le Jeune. Par habituelle, nous entendons que celle-ci porte sa propre reconnaissance en elle-même et qu’elle se montre telle quelle au connaisseur. Diederik Bakhuÿs donne une définition de cette manière en commentant un dessin appartenant au musée des Beaux-Arts de Rouen: « Le graphisme [est] un peu abrupt, les formes [sont] construites au moyen de traits courts et animées par des accents de lavis démultipliés […] ; [les] figures trapues [sont] ramassées dans un espace étroit et [le]modelé [est] presque boursouflé. » À vrai dire, cette définition s’applique à un type de dessin préparatoire propre à Ercole : ce sont principalement des études de composition relativement abouties, dans la suggestion du modelé des figures et dans la profondeur de l’ordonnance générale. Le type préparatoire auquel appartient le dessin de Grenoble est différent : c’est une première pensée de composition. Les formes sont abrégées, rapidement esquissées, voire pour certaines d’entre elles absentes (les têtes des trois Marie se réduisent à des traits curvilinéaires). Seule la figure du Christ présente un degré de précision graphique supérieur : le visage, le nez, la bouche, les yeux, les mains aussi, y sont plus circonscrits. C’est cette façon de faire, que l’on retrouve sur les dessins plus aboutis, qui nous a amenés à rattacher cette feuille à son corpus. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas de dessins d’Ercole présentant des figures simplement délinéées et hachurées. Trois feuilles, passées récemment en vente, rentrent dans cette catégorie[1]. L’une d’elles constitue même un intéressant cas en matière de mise en forme des figures[2]. Trois sont dessinées à la sanguine. La première, à dextre, étudie de manière sommaire deux hommes en train de se battre. Au centre, selon la même typologie, se trouve une tête de cheval. À senestre, Ercole a repris le groupe des combattants pour le préciser, le détailler dans la suggestion des volumes. Les deux modes graphiques sont ainsi associés de manière nette. C’est ce dessin qui a étalonné notre proposition d’attribution à Ercole Procaccini le Jeune.


[1] Sotheby's, NewYork, 28 janvier 1998, no 99 : Étude pour une Adoration des bergers à la sanguine et au lavis de sanguine. Katrin Bellinger, Munich, no 14 : Ange sonnant de la trompette et allégorie de la Richesse à la sanguine.
[2] Sotheby’s Milan, 8 et 9 mai 2001, no 434.

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