Le Colisée à Rome : fantaisie de ruines
Après son retour de Rome vers 1630, Breenberg
exécute à Amsterdam de nombreuses peintures
d’histoire pour les cabinets de curiosité
de cette ville. Le style minutieux et précis de ces
tableaux aux multiples personnages rappelle
l’art des artistes prérembranesques, tels les
frères Pynas, Moeyaert ou Lastman. Cela n’est
pas étonnant, ces artistes étant parfois considérés
comme les maîtres hypothétiques de
Breenbergh, avant qu’il ne parte pour l’Italie. Il
renoue donc avec leur style une fois rentré chez
lui. Au demeurant, ce sont aussi les artistes les
plus en vogue à Amsterdam vers 1630. Toutefois,
Breenberg inonde ses compositions d’une
lumière méridionale blonde et chaude, ce qui
lui donne une véritable originalité par rapport
aux artistes amstellodamois. Un exemple très
caractéristique de son art est le tableau intitulé
Balaam et l’ânesse de 1634, vendu chez Sotheby’s
à Londres le 30 novembre 1983 (n° 79)
que l’on peut comparer avec les peintures
de même sujet de Pieter Lastman[1] ou encore
de Rembrandt[2]. Les oeuvres de Breenbergh
sont souvent peuplées de petits personnages
et dominées par de larges paysages qui sont
inspirés de ses nombreuses feuilles et carnets
exécutés durant son séjour romain. Dezallier
d’Argenville nous renseigne à ce propos dans
la seconde édition de son Abrégé de la vie des
plus fameux peintres parue en 1762 : « [les
dessins] ont fait le fondement de ses tableaux
[et] les beaux morceaux d’architecture que ses
études à Rome lui avoient fournies, ont servi
de fond à ses tableaux, & les ont rendu bien
plus sçavants que les tableaux des autres Hollandois
»[3]. Les dessins de la période italienne
servent aussi à Breenbergh pour la réalisation
d’oeuvres graphiques de grandes dimensions,
comme c’est le cas pour ce dessin.
Datée de 1641, cette Fantaisie de ruines a
sans doute été composée à partir d’éléments
empruntés à différentes esquisses réalisées à
Rome. À gauche, plongées dans une pénombre
finement dosée, apparaissent quelques maisons
représentant l’Italie pittoresque, avec
ses bâtiments anguleux construits sur des
rochers, ses escaliers menant vers une terrasse
et le linge suspendu à la fenêtre… alors qu’à droite de la composition sont visibles quelques
ruines romaines célèbres identifiées par Marcel
Roethlisberger[4]. Il s’agit de l’abside nordest
des thermes de Trajan sur l’Oppio et, plus
loin, du Colisée que Breenbergh a traité plus
en détail à d’autres occasions[5]. Dans cette vue
fantaisiste, sorte de capriccio, Breenbergh joue
avec la notion de grandeur passée, incarnée
par les ruines. Il incite ainsi les Hollandais à
se méfier de leur propre magnificence qui, en
1641, est incontestable et à méditer sur la fragilité
de toute grandeur.
Le fait de travailler d’après des dessins exécutés
il y a longtemps, devant le motif, fait partie
de la culture hollandaise du XVIIe siècle. C’est
à partir de ces impressions reçues que l’imagination
de chaque artiste peut véritablement
créer. Cette pratique se retrouve chez d’autres
artistes italianisants comme Poelenburgh,
Du Jardin et Berchem. De ce dernier, aucune
trace d’un voyage en Italie n’est documentée,
ce qui demande en fait à Berchem de créer une
atmosphère italianisante dans ses peintures et
ses dessins uniquement à partir d’oeuvres d’artistes
qui ont réellement voyagé en Italie. On
peut encore citer Doomer qui se sert de ses dessins
exécutés sur les bords de la Loire pour en
faire de magnifiques feuilles destinées, comme
dans le cas de Breenbergh, à la vente. Herman
Saftleven (MG D 1517) fait de même pour ses paysages
rhénans et Everdingen (MG D 679) pour
ses forêts scandinaves. La feuille de Grenoble
est un dessin abouti, tout comme les nombreux
dessins à la pierre noire et au lavis de Jan
van Goyen ou encore de Pieter
Molyn, attestant l’existence d’un
marché des arts graphiques florissant en Hollande
au milieu du XVIIe siècle. En revanche, les
documents écrits nous renseignant sur les collections
de dessins sont très rares : les feuilles
s’échangent facilement entre collectionneurs,
généralement très discrets.
[1] Jérusalem, Israel Museum, Inv. B 97.0069.
[2] Paris, musée Cognacq-Jay, Inv. n° J 95.
[3] Dezallier d’Argenville, 1762, III, p. 149.
[4] Voir Roethlisberger, 1969, nos 44 et 53 ; voir aussi Paris, galerie Prouté, catalogue de vente, 1992, n° 12.
[5] Voir pour d’autres exemples, Roethlisberger, 1981, n° 200.
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