Le Colisée à Rome : fantaisie de ruines

Bartholomeus BREENBERGH
1641
Lavis gris, dessin sous-jacent à la pierre noire, quelques traces de sanguine en bas à droite, sur deux feuilles de papier vergé crème assemblées au milieu, angle supérieur droit ajouté
34,1 x 50,8 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (Lot 3548, n°1760)

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Après son retour de Rome vers 1630, Breenberg exécute à Amsterdam de nombreuses peintures d’histoire pour les cabinets de curiosité de cette ville. Le style minutieux et précis de ces tableaux aux multiples personnages rappelle l’art des artistes prérembranesques, tels les frères Pynas, Moeyaert ou Lastman. Cela n’est pas étonnant, ces artistes étant parfois considérés comme les maîtres hypothétiques de Breenbergh, avant qu’il ne parte pour l’Italie. Il renoue donc avec leur style une fois rentré chez lui. Au demeurant, ce sont aussi les artistes les plus en vogue à Amsterdam vers 1630. Toutefois, Breenberg inonde ses compositions d’une lumière méridionale blonde et chaude, ce qui lui donne une véritable originalité par rapport aux artistes amstellodamois. Un exemple très caractéristique de son art est le tableau intitulé Balaam et l’ânesse de 1634, vendu chez Sotheby’s à Londres le 30 novembre 1983 (n° 79) que l’on peut comparer avec les peintures de même sujet de Pieter Lastman[1] ou encore de Rembrandt[2]. Les oeuvres de Breenbergh sont souvent peuplées de petits personnages et dominées par de larges paysages qui sont inspirés de ses nombreuses feuilles et carnets exécutés durant son séjour romain. Dezallier d’Argenville nous renseigne à ce propos dans la seconde édition de son Abrégé de la vie des plus fameux peintres parue en 1762 : « [les dessins] ont fait le fondement de ses tableaux [et] les beaux morceaux d’architecture que ses études à Rome lui avoient fournies, ont servi de fond à ses tableaux, & les ont rendu bien plus sçavants que les tableaux des autres Hollandois »[3]. Les dessins de la période italienne servent aussi à Breenbergh pour la réalisation d’oeuvres graphiques de grandes dimensions, comme c’est le cas pour ce dessin.
Datée de 1641, cette Fantaisie de ruines a sans doute été composée à partir d’éléments empruntés à différentes esquisses réalisées à Rome. À gauche, plongées dans une pénombre finement dosée, apparaissent quelques maisons représentant l’Italie pittoresque, avec ses bâtiments anguleux construits sur des rochers, ses escaliers menant vers une terrasse et le linge suspendu à la fenêtre… alors qu’à droite de la composition sont visibles quelques ruines romaines célèbres identifiées par Marcel Roethlisberger[4]. Il s’agit de l’abside nordest des thermes de Trajan sur l’Oppio et, plus loin, du Colisée que Breenbergh a traité plus en détail à d’autres occasions[5]. Dans cette vue fantaisiste, sorte de capriccio, Breenbergh joue avec la notion de grandeur passée, incarnée par les ruines. Il incite ainsi les Hollandais à se méfier de leur propre magnificence qui, en 1641, est incontestable et à méditer sur la fragilité de toute grandeur.
Le fait de travailler d’après des dessins exécutés il y a longtemps, devant le motif, fait partie de la culture hollandaise du XVIIe siècle. C’est à partir de ces impressions reçues que l’imagination de chaque artiste peut véritablement créer. Cette pratique se retrouve chez d’autres artistes italianisants comme Poelenburgh, Du Jardin et Berchem. De ce dernier, aucune trace d’un voyage en Italie n’est documentée, ce qui demande en fait à Berchem de créer une atmosphère italianisante dans ses peintures et ses dessins uniquement à partir d’oeuvres d’artistes qui ont réellement voyagé en Italie. On peut encore citer Doomer qui se sert de ses dessins exécutés sur les bords de la Loire pour en faire de magnifiques feuilles destinées, comme dans le cas de Breenbergh, à la vente. Herman Saftleven (MG D 1517) fait de même pour ses paysages rhénans et Everdingen (MG D 679) pour ses forêts scandinaves. La feuille de Grenoble est un dessin abouti, tout comme les nombreux dessins à la pierre noire et au lavis de Jan van Goyen ou encore de Pieter Molyn, attestant l’existence d’un marché des arts graphiques florissant en Hollande au milieu du XVIIe siècle. En revanche, les documents écrits nous renseignant sur les collections de dessins sont très rares : les feuilles s’échangent facilement entre collectionneurs, généralement très discrets.


[1] Jérusalem, Israel Museum, Inv. B 97.0069.
[2] Paris, musée Cognacq-Jay, Inv. n° J 95.
[3] Dezallier d’Argenville, 1762, III, p. 149.
[4] Voir Roethlisberger, 1969, nos 44 et 53 ; voir aussi Paris, galerie Prouté, catalogue de vente, 1992, n° 12.
[5] Voir pour d’autres exemples, Roethlisberger, 1981, n° 200.

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