Marie-Madeleine au pied de la Croix

Govert FLINCK
vers 1635 - 1640
Pierre noire et rehauts de craie blanche sur papier vergé bleu
29,9 x 19,2 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3548, n°1850).

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Né à Clèves en Allemagne, Govert Flinck s’est formé dans les Provinces-Unies auprès de deux maîtres : Lambert Jacobsz, dès 1629 environ, et Rembrandt, trois ans plus tard. Le premier appartient, comme Flinck, à la petite mais influente secte mennonite. Installé à Leeuwarden en Frise, Jacobsz est surtout renommé pour ses peintures religieuses qui se distinguent par une grande clarté et un grand dépouillement. Dès 1632, Flinck est chez Rembrandt à Amsterdam pour achever et compléter ses études. Ce dernier le marque d’une façon décisive dans un premier temps, alors que dans les années 1640, suivant le changement de goût artistique dans les Provinces-Unies, Flinck délaisse progressivement le style de son maître – surtout son humanisation des personnages historiques – pour adopter la tradition flamande, plus idéaliste. La Madeleine inédite de Grenoble, exécutée à la fin des années 1640, marque plus encore la transition entre l’art de Rembrandt et l’intérêt grandissant du peintre hollandais pour l’art flamand. Une Madeleine de Flinck de 1657, conservée dans une collection particulière, montre bien comment l’artiste s’est approché à la fin de sa vie de l’art pathétique et plein d’émotion de Rubens[1]. En 1652, Flinck obtient le droit de bourgeoisie à Amsterdam, ce qui lui permet de travailler dès 1655 pour l’hôtel de ville et de signer, en novembre 1659, une des plus prestigieuses commandes du temps : l’exécution de douze grands tableaux d’histoire pour la salle centrale d’apparat. La mort du peintre, deux mois plus tard – considérée en Hollande comme une grande perte pour la peinture – l’empêche de les réaliser et oblige la municipalité à redistribuer la commande.
Une des plus grandes découvertes des dernières années, concernant Rembrandt et ses élèves, est vraisemblablement le corpus des paysages de Govert Flinck, attribués auparavant avec beaucoup de certitude à Rembrandt. Dans l’oeuvre riche et varié de Flinck, la puissance de l’effet se joint à une grande délicatesse dans la représentation des sentiments, comme le montre le dessin de Grenoble. Exécutée à la pierre noire et rehaussée de craie blanche sur papier bleu, la feuille est signée en toutes lettres, ce qui fait penser qu’elle fut destinée à la vente comme de nombreux autres dessins de l’artiste. La feuille est préparatoire à une Madeleine au pied de la Croix, visible dans une Crucifixion de Flinck conservée au Kunstmuseum de Bâle[2] (Golgotha, Inv. n°212). Dans l’iconographie chrétienne, Madeleine est agenouillée aux pieds du Christ et embrasse la Croix.
Un beau dessin de Flinck, conservé au Teylers Museum à Haarlem, a été considéré par Peter Schatborn comme une oeuvre préparatoire au tableau de Bâle[3] (Jeune homme assis, Inv. n°P+007). Il représente l’un des jeunes hommes jouant aux dés pour gagner la tunique du Christ, au premier plan à gauche. Si on note des similitudes entre les deux hommes, l’hypothèse d’un dessin préparatoire pour le tableau de Bâle est moins convaincante que dans le cas de la Madeleine de Grenoble, pour laquelle il n’existe aucun doute. Seule différence notable entre le dessin et la peinture, la représentation de Madeleine est inversée. La peinture sur bois de Bâle, d’environ un mètre de haut et cintrée dans la partie supérieure, est signée et datée de 1649, selon les recherches des ateliers de restauration de Bâle entamées en 1965[4]. L’oeuvre est clairement influencée par le cycle sur la Passion de Rembrandt, destiné au prince d’Orange et exécuté entre 1634 et 1639, mais Sumowski remarque que le coloris chaud, ainsi que le dessin des figures, évoque plutôt l’art flamand (on pourrait penser à certaines oeuvres de Jordaens). Flinck s’est déjà inspiré de ce cycle de Rembrandt, notamment dans une Déploration au pied de la Croix de 1637, conservée au Museum of Western Art à Tokyo[5] et la comparaison entre les deux oeuvres permet de voir l’évolution de Flinck durant les douze années qui séparent les deux tableaux. Il atténue, dans le tableau de Bâle, l’aspect humain de l’histoire sacrée et crée une composition plus harmonieuse. D’autres artistes se sont inspirés de ce même cycle de Rembrandt, dont Jan van Noordt, dans une Crucifixion conservée à Avignon, très proche de celle de Bâle[6].
Les lignes fluides qui dessinent le manteau et le foulard de la Madeleine enveloppent entièrement son corps. L’expression de la douleur sur son visage et les mains enlaçant la Croix (qui se substitue au Christ tant aimé par Madeleine) sont rembranesques, alors que la technique, à la pierre noire et à la craie blanche sur papier bleu, rappelle l’art d’un Jacob Backer, un autre élève de Lambert Jacobsz. L’attention portée à l’étude des figures, qui sont minutieusement décrites sur de grandes feuilles, est partagée aussi bien par les élèves de Rembrandt comme Flinck et Bol que par Backer et les artistes de son cercle, comme Jan van Noordt, Jacob van Loo ou encore Nicolas van Helt Stockade.


[1] Cat. exp. Stockholm, 1992-1993, n° 86, repr.
[2] Voir Sumowski, 1983, II, n° 630, repr.
[3] Voir Schatborn, 1974, p. 116.
[4] Voir Boerlin, 1987, p. 114 ; le dernier chiffre a été lu parfois de façon différente.
[5] Museum of Western Art, Inv. no P. 2006.0001 ; voir Sumowski, 1983, II, n° 612, repr.
[6] Avignon, musée Calvet, Inv. n° 833.1 ; voir cat. exp. Avignon, 2006-2007, n° 78, repr., et De Witt, 2007, n° 15, repr. ; les deux notices sont complémentaires.

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