Allégorie de l'Aurore

Noël COYPEL
XVIIe siècle
Pierre noire, rehauts de craie blanche, trait d'encadrement à la pierre noire sur papier vergé chamois
14,8 x 21,2 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3560, n°439).

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Classé parmi les anonymes français, le dessin est identifié en 1987 par Pierre Rosenberg et publié pour la première en 1993 par Sylvain Boyer. Il est alors mis en relation avec les travaux réalisés par Noël Coypel dans le petit appartement du roi au premier étage du château des Tuileries . Cette hypothèse est confirmée par les analogies iconographiques et formelles qu’offre cette étude avec deux compositions allégoriques de cet ensemble, aujourd’hui démembré : La Terre[1] , conservée au musée des beaux-arts de Lyon et La Rosée, réapparue en 2001 dans le commerce de l’art[2] .
La décoration des appartements royaux aux Tuileries, l’un des chantiers de peintures les plus ambitieux du règne de Louis XIV à Paris avant l’installation du roi à Versailles, avait été confiée à Charles Le Brun. Ce dernier en conçoit la disposition d’ensemble et réunit une équipe de peintres pour exécuter les œuvres. Coypel se voit confier au premier étage le décor de l’antichambre, de la chambre à coucher, du cabinet et de l’oratoire du petit appartement du roi donnant sur le jardin. La Rosée est l’une des trois compositions plafonnantes de la chambre et La Terre, l’un des trois compartiments du plafond de l’antichambre.
Dans le tableau de Lyon, pour représenter La Terre, le peintre reprend avec de légères modifications le modèle canonique de Cesare Ripa qu’il enrichit du point de vue narratif par l’introduction de personnages annexes. La déesse de la Terre, appuyée sur un lion, est couchée sur des nuées. Elle apporte richesse et prospérité, symbolisées par la traditionnelle corne d’Abondance. Des fleurs et des fruits, tenus par les putti, sont placés à ses côtés. La Terre lève les yeux et montre de sa main gauche sa couronne à sa fille Aurore. Le rôle de cette dernière est d’annoncer l’arrivée du soleil. Pour cela, elle tient l’étoile du matin[3] .
L’iconographie du dessin de Grenoble, où la tête de la jeune femme est surmontée d’une étoile, correspond à celle de l’Aurore. Par son geste, cette dernière annonce l’arrivée de la lumière en désignant le soleil, représenté à droite. A ses côtés, préfigurant l’arrivée des beaux jours, deux enfants sèment des fleurs. Toutefois, la figure dessinée est orientée dans le sens inverse de celle de la peinture et présente de nombreuses différences dans la disposition de la draperie et des détails. L’inversion de la pose n’est pas étonnante et l’on en retrouve d’autres exemples chez l’artiste qui semble adapter ses études au fur et à mesure qu’il élabore le rythme de sa composition. Il semble que le peintre, comme d’autres, réalisait parfois des contre-épreuves de ses dessins pour en inverser plus facilement la pose. Nous avons retrouvé, parmi les feuilles anonymes du musée, un dessin inédit qui semble illustrer cette méthode. Il s’agit d’une figure allégorique (MG D 1256)[4] , préparatoire pour le plafond de la Grand Chambre du Parlement de Rennes. Le dessin, très passé, est probablement une contre-épreuve mais il se présente dans le même sens que la figure peinte qui lui correspond.
Virginie Bar (2003) rapproche plutôt le dessin de La Rosée, qui offre une pose assez proche. Elle est accompagnée de deux putti et entourée de deux vases, d’où s’écoule une cascade d’eau. Toutefois, cette figure n’est pas accompagnée de l’étoile. Il est vrai que le dessin présente des analogies avec les deux peintures mais son iconographie nous semble plus proche de celle de La Terre. Le dessin peut s’inscrire dans le travail préparatoire ayant précédé ce tableau.
Comme l’a souligné Antoine Schnapper (1977), la conception de La Terre, œuvre plafonnante, illustre parfaitement le refus des artistes français, à partir des années 1650-60, de se soumettre aux lois strictes de la perspective. Ici, les figures sont placées parallèlement à la surface de la toile et l’espace qui les environne ne vise pas à créer un effet de profondeur illusionniste . Les proportions du corps humain sont ainsi rendues avec moins de déformations et les figures gagnent en présence et en clarté de lecture. Ces décors de plafond sont de ce fait conçus comme des tableaux, rapportés à la manière de la galerie des Carrache au palais Farnèse, dont on réalise au même moment une copie au château des Tuileries . Le style particulièrement solide de l’œuvre, avec des personnages sculpturaux aux contours marqués, est caractéristique de l’art de Coypel et se remarque dés la préparation des peintures, comme le démontre le dessin de Grenoble. Ce dernier est enfin particulièrement significatif de l’écriture graphique de l’artiste. Les contours de la figure y sont tracés à la pierre noire d’un trait assuré et ensuite le tout est rehaussé de craie blanche, posée en lignes parallèles à la manière d’un graveur.


[1] Noël Coypel, Allégorie de la Terre, Lyon, musée des beaux-arts, Inv. A69.
[2] Noël Coypel, Allégorie de la Rosée, coll. part. États-Unis. H. 101,6 ; L. 139,7 cm. Vente New York Sotheby's, 7 avril 2001, n°422 (comme cercle de Noël Coypel).
[3] Le sens de cette composition est similaire à celui connu par un dessin conservé au Louvre montrant Apollon qui éloigne les vents de la Terre et que N. Sainte Fare Garnot a identifié comme un premier projet de Coypel pour le plafond de l’antichambre. Pierre noire rehaussée de blanc, H. 31 ; L. 40, Paris, musée du Louvre, Inv. 34018.
[4] Noël Coypel, Étude de femme, musée de Grenoble, MG D 1256. Pierre noire et craie blanche, H. 28.5 ; L. 32.9. Inscriptions : "N. Poussin" en bas à droite à la plume et encre noire.

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