La Réception du duc de Longueville dans l'ordre du Saint-Esprit le 15 mai 1633

Philippe de CHAMPAIGNE
XVIIe siècle
Pierre noire, trait d'encadrement au graphite sur papier vergé beige
19,6 x 12,6 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3547, n°568).

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Ce petit dessin, publié ici pour la première fois, était depuis son entrée au musée, avec la collection Mesnard, classé sous le nom d’Antoine Caron. L’attribution à ce peintre parisien de la fin du XVIe siècle s’explique en partie par le sujet, qui illustre une cérémonie de l’ordre du Saint-Esprit. Institué en 1578 par Henri III, cet ordre de chevalerie dédié à l’esprit Saint apparu le jour de la Pentecôte – jour de l’accession au trône du roi - revêt un caractère politique fort. Le roi s’attachait, par cette décoration, la fidélité des grands sujets du royaume en les honorant de l’ordre le plus important de l’époque. Les membres étaient décorés lors de cérémonies particulières et prêtaient serment sur l’Évangéliaire de l’Ordre. Cet ouvrage est aujourd’hui détruit mais le musée Condé à Chantilly en conserve une des miniatures célébrant la réception de la première promotion en 1578[1]. Réalisée par Guillaume Richardière, cette miniature reproduit une peinture d’Antoine Caron, détruite par les Ligeurs en 1588. La composition est très proche du dessin de Grenoble qui semble en être fortement inspiré. Cette proximité explique certainement l’attribution à Caron. Or, une lecture attentive de l’image montre que les personnages ne semblent pas du tout être les mêmes, à commencer par le roi. Ce dernier n’est pas ici Henri III mais ses traits sont plutôt ceux de Louis XIII. Le dessin est donc à situer dans les années 1630 et non à la fin du XVIe siècle. C’est à Frédérique Lanoë que revient le mérite d’avoir éclairci la destination et la paternité de cette feuille. Il ne s’agit pas d’un dessin d’illustration, comme nous le pensions à cause de son petit format, mais d’une étude destinée à l’un des tableaux peints par Philippe de Champaigne commémorant la réception du duc de Longueville lors de la septième promotion des chevaliers de l’Ordre en 1633. Cette cérémonie, qui s’était tenue le 14 mai 1633 au château de Fontainebleau, marquait le triomphe de Richelieu, dont un certains nombre de protégés étaient récompensés parmi les quarante-neuf élus: « ses parents et ses amis furent préférés aux bons et fidèles serviteurs du roi[2] » .
Pour l’importante somme de 4 500 livres, Philippe de Champaigne réalise en 1634 un grand tableau destiné à la chapelle de l’Ordre au couvent des Grands-Augustins. Aujourd’hui détruite, cette peinture nous est connue par deux répliques, livrées par le peintre à Claude Bouthillier et Claude Bullion, tous deux présents dans la scène.
Frédérique Lanoë a parfaitement retracé la genèse de cette célèbre composition. Dans un premier temps Champaigne, qui n’avait pas assisté à la cérémonie, a probablement observé le schéma des représentations plus anciennes. Le peintre a certainement vu les miniatures des Évangéliaires de l’Ordre, puisqu’il en représente un exemplaire dans son tableau. Le dessin de Grenoble en est directement inspiré et possède d’ailleurs les caractères d’une miniature par son format et la délicatesse de son exécution. Les personnages du XVIe siècle y sont juste remplacés par ceux du XVIIe dans une disposition pyramidale conventionnelle. Par la suite, le peintre modifie le format de son œuvre, qui sera finalement en largeur avec des figures disposées en frise. Un dessin d’ensemble, conservé au Fogg Art Museum[3], illustre cette seconde étape et correspond aux versions peintes des musées de Troyes[4] et de Toulouse.
A travers la réception du duc de Longueville (1595-1663), gouverneur de Picardie puis de Normandie, c’est un condensé de toute la cérémonie que montre Champaigne. A la droite du roi sont placés Claude de Bullion (1569-1640), garde des Sceaux de l’Ordre, qui présente l’Évangéliaire au novice et Claude Bouthillier, le grand trésorier de l’Ordre. Du côté opposé, se tiennent Charles Duret, secrétaire de l’Ordre et Michel de Beauclères, Grand Ordonnateur des cérémonies.
L’attribution à Champaigne du dessin de Grenoble permet de mieux comprendre la méthode de travail du peintre pour la conception de ce grand portrait collectif, à partir des schémas de la fin du XVIe siècle. Cette feuille enrichit notablement le corpus graphique de l’artiste où les petits dessins à la pierre noire sont encore rares. La nouvelle formule mise en place sera reprise par le peintre quelques années plus tard dans Louis XIV le lendemain de son sacre, reçoit le serment de son frère Monsieur, duc d’Anjou, comme chevalier de l’Ordre du Sain-Esprit à Reims conservé au musée de Grenoble.


[1] Guillaume Richardière, Henri III présidant la première cérémonie de l'Ordre du Saint-Esprit, Chantilly, Musée Condé, Ms408 ; XIX115.
[2] Loménie de Brienne, 1824, t.II, p.44.
[3] Philippe de Champaigne, La Réception du Duc de Longueville dans l'ordre du Saint-Esprit, Cambridge, Harvard Art Museums, Fogg Art Museum, Inv. 1988.419.
[4] Philippe de Champaigne, La Réception du duc de Longueville dans l'ordre du Saint-Esprit par le roi Louis XIII en 1633, Troyes, musée d'Art et d'Histoire, Inv. 835.1.

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