Portrait de Mme Fantin-Latour

Henri FANTIN-LATOUR
1877
100,5 x 80,6 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de Victoria Fantin-Latour née Victoria Dubourg en 1921, entré au musée en 1926
Localisation :
SA22 - Salle 22

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[Cat. exp. Fantin-Latour : à fleur de peau, Musée du Luxembourg, musée de Grenoble, 2016-2017]

Henri Fantin-Latour a peint Victoria Dubourg à cinq reprises. Trois portraits individuels et deux autres où elle figure, l’un avec sa soeur Charlotte et l’autre dans le célèbre portrait collectif de sa famille. Le premier [1], chronologiquement, de ces portraits date de 1870, soit un an après ses fiançailles. Il représente les deux soeurs assises dans leur intérieur. Victoria apparaît au second plan, de trois quarts, les yeux baissés sur un livre, comme absente, alors que Charlotte, au premier plan, le visage en pleine lumière, fixe ostensiblement le peintre. Deux attitudes bien distinctes que l’on retrouve dans le tableau représentant la famille Dubourg [2], où l’aînée paraît, à l’arrière de ses parents, se fondre dans une docile résignation alors que la cadette affirme par sa position et son maintien toute son indépendance…
De fait, les portraits individuels de Victoria corroborent cette vision qu’en offre le peintre : une femme réservée préférant à l’agitation d’une vie mondaine le silence et la concentration d’activités recueillies telles que la lecture ou la peinture de fleurs qu’elle pratiquait avec talent. Le premier portrait date de 1873, et figure à nouveau Victoria lisant dans une pose assez proche de celle qu’elle tenait dans La Lecture [3]. Assise de trois quarts dans un fauteuil dont la tapisserie rouge du dossier réchauffe un peu l’harmonie de couleurs sombres de la composition, elle apparaît là encore les yeux baissés, absorbée par sa lecture. La lumière éclaire le haut de son visage, le noeud bleu qu’elle porte autour du cou et l’ouvrage qu’elle tient entre ses mains. Nul accessoire ne vient distraire l’attention qui se concentre sur cet échange silencieux entre la lectrice et son livre. Une grande douceur émane de ce portrait qui renvoie plus à l’image d’une mère qu’à celle d’une future épouse. Par contraste, il est frappant de voir combien Degas, dans le tableau [4] qu’il fait d’elle quatre ans plus tôt, rend compte d’une psychologie tout autre, Victoria apparaissant comme une femme décidée, regardant droit devant elle avec une franchise confondante.
Le deuxième portrait que réalise Fantin, quelques mois après leur mariage le 16 novembre 1876, donne à Victoria l’aspect d’une femme mûre – elle a alors trente-six ans. Sur un fond noir, dans la pénombre, assise sur une simple chaise, elle apparaît vêtue d’une capeline grise bordée d’astrakan. Dans une attitude à la fois humble et absente, elle se tient les mains comme l’on se raccroche à quelque chose pour se sentir moins seul, son regard perdu dans une sorte d’infinie lassitude. Le silence ici est palpable comme l’est un sentiment de renoncement à ces chimères grotesques et délicieuses que l’on nomme « rêves de jeunesse ». Ainsi, en devenant Mme Fantin-Latour, Victoria Dubourg fait le deuil de ses illusions et son époux, à la manière du dernier Rembrandt, en dresse le constat sans concession, cruel et définitif.
L’ultime portrait [5] qu’il peint d’elle en 1883 la représente à nouveau un livre entre les mains, avec à l’annulaire gauche, bien en évidence, son alliance. Mais contrairement aux tableaux précédents, elle n’est pas en train de lire. Elle regarde devant elle, sûre désormais de ce qu’elle est, l’épouse d’un grand peintre, chevalier de la Légion d’honneur et membre du jury du Salon. Elle est assise sur le même canapé – mais à l’autre extrémité – que sa soeur Charlotte dans le portrait [6] que Fantin a peint d’elle l’année précédente. Là encore, le contraste est saisissant entre les deux soeurs, comme si elles constituaient aux yeux du peintre les deux versants inconciliables de la femme. À l’une l’ombre, à l’autre la lumière ; l’une vieille avant d’avoir été âgée, l’autre figée dans la beauté inaltérable de sa jeunesse.


[1] La Lecture, 1870. Huile sur toile. H. 95 ; L. 123 cm. Lisbonne, fondation Calouste Gulbenkian, inv. 257.
[2] La Famille Dubourg, 1878. Huile sur toile. H. 146,5 ; L. 70,5 cm. Paris, musée d’Orsay, inv. RF 2349 (FL 867).
[3] Portrait de Victoria Dubourg, 1873. Huile sur toile. H. 92,5 ; L. 76 cm. Paris, musée d’Orsay, inv. RF 3629 (FL 647).
[4] Victoria Dubourg, vers 1868-1869, huile sur toile, H. 81,3 ; L. 64,8 cm, Toledo, The Toledo Museum of Art, don de M. et Mme William E. Levis.
[5] Portrait de la femme de l’artiste, 1883, huile sur toile, H. 100 ; L. 81 cm, Berlin, Nationalgalerie.
[6] Portrait de Charlotte Dubourg, 1882. Huile sur toile, H. 118 ; L. 92,5 cm. Paris, musée d’Orsay, inv. RF 2348.

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