Mandoliniste

Léonor FINI
avant 1933
92 x 65 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Don du Comte Emanuele Sarmiento en 1933

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[Catalogue de l'exposition Italia moderna. La collection d'art moderne et contemporain italien du musée de Grenoble, 19 mai-4 juillet 2021]

Connue pour sa peinture, ses recueils de poésie et ses nombreux décors de théâtre, Leonor Fini est une artiste singulière proche des milieux surréalistes. Née à Buenos Aires en 1908, elle meurt à Paris en 1996. Autodidacte, la jeune femme grandit à Trieste en Italie, dans un milieu cosmopolite et littéraire, où elle fait la connaissance d’écrivains comme Filippo T. Marinetti, Italo Svevo ou James Joyce. Curieuse, elle découvre la peinture renaissante et maniériste en visitant les musées européens. C’est grâce à l’immense bibliothèque de son oncle qu’elle se familiarise avec la peinture romantique allemande et les préraphaëlites comme Aubrey Beardsley. Et c’est par l’entremise d’un ami de sa famille, Arturo Nathan, qu’elle fréquente les artistes du Novecento. Son arrivée en 1931 à Paris alors qu’elle n’a que 23 ans, marque le début de sa carrière. Elle s’y lie d’amitié avec le photographe Henri Cartier-Bresson et les poètes André Pieyre de Mandiargues, Jules Supervielle et Max Jacob. Ce dernier montre ses oeuvres à Christian Dior, qui organise sa première exposition personnelle parisienne en 1932 à la galerie Jacques Bonjean, rue de la Boétie. Proche des milieux de la mode parisien (Elsa Schiaparelli, Paul Poiret), Leonor Fini fréquente les cercles surréalistes (Georges Bataille, Victor Brauner, Max Ernst) et participe aux principales expositions du mouvement (New Burlington Galleries, Londres, 1936 ; Fantastic Art, Dada, Surrealism, New York, 1936). Indépendante, elle n’adhère pour autant jamais officiellement au groupe. L’art de celle qui fut autant une muse (photographiée par Cartier-Bresson, Dora Maar) qu’une artiste admirée par Giorgio de Chirico, Filippo de Pisis ou encore Paul Eluard, est reconnaissable entre tous. Visionnaire et fantastique dans les années 1930 et 1940, sa peinture est un monde d’« images théâtrales », donnant à voir de mystérieux rituels et d’incompréhensibles dramaturgies. « Ses tableaux sont faits de vertiges » affirmait Max Ernst (1960). Il semble toujours être question d’alchimie, de sexualité et de sorcellerie dans ces toiles oniriques où continuent de dominer, jusque dans les années 1960, d’étranges personnages féminins et d’énigmatiques figures androgynes ou animales.

La peinture du musée de Grenoble est emblématique du style adopté par Leonor Fini dans ses premières années parisiennes (1931-1934), période où elle attire l’attention de critiques comme Gustave Kahn ou Waldemar-George. Le tableau appartient à un ensemble d’oeuvres peu connues dont l’esprit se distingue profondément de l’esthétique surréaliste et de l’atmosphère mystique privilégiées par l’artiste quelques années plus tard. Passionnée par le théâtre et le travestissement, Fini donne alors naissance à un monde irréel, un univers de fantaisie servi par des couleurs pastel et acidulées. Comme absents à eux-mêmes, s’y succèdent des personnages ambigus tout droit sortis des arts de la scène – musiciens, danseurs ou acteurs - souvent vêtus de fanfreluches et parfois couronnés de fleurs et d’oiseaux. En témoignent le Travesti à l’oiseau dont le modèle fut son amant le poète André Pieyre de Mandiargues, Les trois Faunesses (1932), ou encore le Clown Danigello (1931) et Jeu de déesses (1932). Le conservateur Jean Cassou dit alors que «Leonor Fini éveille tout un monde de créatures énigmatiques et burlesques, qui [...] « n’ont pas l’air de croire en leur bonheur ». L’air angélique, le regard vague et perdu dans ses pensées, la Mandoliniste est l’une de ces figures éthérées et oniriques. Coiffée de grappes de raisin, cette drôle de bacchante semble jouer ici une douce sérénade. Elle appartient à la cohorte de femmes aux formes rondes et parées de fleurs dont Jean Cassou disait qu’elles étaient« drapées dans des tissus légers et roses comme des sorbets.» Modèle de fraîcheur et de féminité, cette douce mandoliniste au teint de rose révèle aussi une époque, celles des années 1920-1930 à Paris, où l’univers des saltimbanques, des danseurs et des musiciens inspira également à Picasso de remarquables peintures.

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