Les Trois bohémiens

Pierre Alfred BELLET DU POISAT
1857
208,5 x 251 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de Pierre Alfred Bellet du Poisat en 1883

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Né à Bourgoin en 1823 dans un milieu aisé, Alfred Bellet du Poisat effectue sa scolarité à Lyon où sa famille s’installe vers 1830. Très tôt, il manifeste des dispositions pour la peinture et dès l’âge de seize ans s’initie auprès d’Auguste Flandrin, puis de Louis Lacuria. Vers 1841, répondant au désir de ses parents, il entame des études de droit à Paris, domaine qu’il délaisse rapidement au profit d’une formation artistique dans l’atelier de Michel Martin Drölling, puis à partir de 1845 à l’École des beaux-arts, tout en fréquentant par ailleurs Hippolyte Flandrin. Il retourne à Lyon en 1847 où il séjournera jusqu’en 1868, date à laquelle il s’installe définitivement à Paris. C’est lors de son retour à Lyon qu’il expose pour la première fois au Salon de la Société des amis des arts, salon auquel il participera régulièrement, avant de faire un premier envoi au Salon parisien en 1857.
Bien que formé, avec les Flandrin notamment, selon les principes ingresques d’une peinture soumise aux règles du dessin, Alfred Bellet du Poisat s’affirme dès ses débuts par un style redevable avant tout de l’influence de Delacroix. Une touche épaisse et fougueuse, des effets de lumière théâtraux, des formes façonnées par la couleur sont autant de traits qui caractérisent sa manière et l’inscrivent dans la lignée du maître du romantisme. Elle est mise au service des sujets les plus variés, de l’évocation d’épisodes historiques aux scènes de genre en passant par la peinture religieuse. Cette diversité iconographique désorientera ses contemporains et sera souvent assimilée à la liberté d’esprit et l’individualisme de l’auteur. Elle s’atténuera cependant vers la fin des années 1860 lorsque le peintre, sous l’influence de François Auguste Ravier, se consacrera de plus en plus au paysage dans un style proche de l’impressionnisme naissant et, à l’instar de Manet, aux scènes de la vie moderne. Artiste insaisissable, talentueux et insatisfait, il laissera à sa mort en 1883, un oeuvre marqué du sceau de l’éclectisme, traversé de belles intuitions que des aspirations contradictoires ne lui auront pas permis de conduire à leur terme.
Les Trois Bohémiens peuvent être considérés comme l’une des peintures les plus ambitieuses de Bellet du Poisat et certainement l’une de ses plus belles réussites. Inspiré d’un poème de Nikolaus Lenau[1], un auteur très célèbre dans le monde germanique à l’époque, cette oeuvre se veut être une ode à la liberté et à l’indifférence aux biens matériels. Sa composition s’ordonne autour des trois Tziganes, héros d’une bohème plus rêvée que réelle, qui occupent le centre du tableau et se détachent sur un vaste paysage vallonné auquel un ciel chargé de nuages confère un souffle épique. L’artiste les a représentés comme pris sur le vif, alors qu’ils font une halte. L’un a posé ses cymbales près de lui et dort, un autre que l’on voit de dos observe au loin tout en fumant, tandis qu’entre eux, assis sur un rocher et dominant ses deux compagnons, un joueur de violon fixe de son regard intense le spectateur. Par sa place, son attitude, il capte toute l’attention et donne corps à sa musique qui se répand dans le tableau telle une onde portée par la touche mouvementée du peintre. Alfred Bellet du Poisat, grand voyageur et esprit indépendant, fut à l’évidence très sensible aux images du poème qu’il semble avoir illustré presque littéralement, ainsi que l’on peut le lire :
« Leurs vêtements n’étaient que haillons Rapiécés d’étoffes bariolées,
Mais tous les trois, libres et fiers,
Se moquaient du monde et des hommes.
Par trois fois ils m’ont montré comment,
Quand la vie pour nous se fait grise,
On la dissipe en fumée, en rêves et en chansons,
Et triplement on la méprise. »
Par sa fougue et son lyrisme, le tableau emporte l’adhésion et est bien accueilli à l’époque. On y retrouve bien sûr l’empreinte de Delacroix, mais les tons assourdis, le réalisme des figures, l’âpreté du paysage font aussi songer à un autre grand peintre qui, dans ces années, occupe l’actualité : Gustave Courbet.
Alfred Bellet du Poisat, dont le parcours artistique appartient plus à Lyon et Paris, témoigne néanmoins de son attachement au musée de Grenoble en léguant à sa mort ce tableau et trois oeuvres d’autres maîtres.


[1] Die drei Zigeuner (1838).

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