Les Cervarolles (Etats romains)

Auguste FÉLIX, Ernest Antoine Auguste HÉBERT
fin XIXe siècle
146,5 x 90 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Don de Léon de Beylié en 1900

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Hébert a trouvé le sujet de son futur tableau de Salon en observant, à Cervara di Roma, en Italie, les femmes qui se rendent à la fontaine. Ces dernières doivent emprunter un sentier de chèvres pour gagner la source aménagée à trois kilomètres, en contrebas du bourg. Leurs allées et venues incessantes, la tête chargée d’un lourd pot de cuivre (la conca), lui paraissent inhumaines. Il choisit de les représenter au moment où elles se rencontrent dans le village, la plus âgée remontant avec son récipient plein, les deux plus jeunes descendant remplir le leur. Certes, ce sont encore des « filles portant des cruches[1] » comme celles d’Alvito, précise-t-il à sa mère, mais les villageoises de ces montagnes affichent un type maure qu’il veut absolument retenir. Après avoir esquissé, à Rome, de mémoire et d’après des études, l’arche du passage couvert de la ruelle qui constitue l’arrière-plan du tableau, Hébert décide de retourner à Cervara pour quelques mois. La grande toile, roulée, est portée à dos d’âne jusqu’à l’atelier improvisé dans un petit logement. Il peut désormais accorder le fond à « ce qu’il a sous les yeux^2 » et profiter des paysannes qui sont « à sa porte^3 ». S’il trouve facilement le charmant modèle de la fillette, celui de la figure principale reste un problème. Les villageoises, méfiantes, refusent de poser pour l’artiste. Seule Rosa Nera, mise à l’écart par ses voisines pour mauvaise conduite, accepte finalement de se laisser convaincre. Le modèle lui convient tout à fait. Mais le mouvement général du tableau ne lui donne pas satisfaction. Le peintre, exigeant, reprend régulièrement la toile. Pour lui, l’enjeu est de taille : il lui faut traduire la dignité de ces femmes pauvres. Ce n’est qu’au bout de dix-huit mois d’isolement et de travail assidu qu’Hébert se décide à quitter le « nid d’aigle^4 » pour rejoindre la Ville éternelle. Le tableau, agrandi par le haut, est retravaillé à Rome où son modèle l’a rejoint. Il sera présenté au Salon de Paris de 1859. L’achat par l’État (15 000 francs) pour le musée du Luxembourg confirme le succès auprès du public. Ces porteuses d’eau, évoquant les canéphores antiques et symbolisant les trois âges de la vie, font l’objet de commentaires critiques divergents. Arsène Houssaye y voit la vraie Italie moderne, Théophile Gautier y reconnaît la beauté, tandis qu’Alfred Castagnary, plus lucide peut-être, reproche au peintre de se noyer « dans un océan littéraire[5] ».
Le général de Beylié (1849-1910), dont Hébert vient de faire le portrait, est le fils d’un de ses amis d’enfance. Le militaire grenoblois, qui a grandi dans une famille cultivée, est un collectionneur et mécène actif qui accumule les objets depuis vingt ans. Quand il commande à Hébert un tableau avec l’intention de l’offrir au musée de Grenoble, à choisir « parmi ses préférés et typiques[6] », le peintre lui propose Les Cervarolles. Certes, celui-ci est l’un des plus célèbres, mais c’est aussi sans doute l’oeuvre de cette période où il a mis le plus de lui-même : exigeant presque deux ans de travail sur place, seul face à ses doutes, l’artiste s’est efforcé de ne pas faire une scène trop pittoresque et de ne pas courir alors le risque de paraître anecdotique.
Lors de la commande, Hébert ne cache pas qu’il compte confier le travail à son élève Félix et qu’il retouchera les figures. L’artiste n’est plus en âge de réaliser des toiles de grand format (même si celle-ci est réduite de moitié) et il est par ailleurs très pris par des portraits en cours. Félix est un bon dessinateur, la reproduction est excellente, mais la touche est néanmoins plus sèche et bien éloignée du beau traitement en matière de l’original par Hébert, présenté au musée d’Orsay.


[1] Lettres à sa mère, 1856-1858, fonds Hébert, musée national Ernest Hébert/musée d’Orsay.
[5] René Patris d’Uckermann, Ernest Hébert : 1817-1908, Paris, Réunion des musées nationaux, 1982, p. 111.
[6] Archives Léon de Beylié, musée de Grenoble.

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