Moïse et le buisson ardent

Rembrandt Harmensz. VAN RIJN dit REMBRANDT (école de)
XVIIe siècle
17,8 x 24,9 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (dessins encadrés, n°33)

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Parmi les nombreuses représentations de l’Ancien Testament que l’on doit à Rembrandt, peu illustrent les livres du Pentateuque, à l’exception toutefois du premier des « cinq livres de Moïse », la Genèse. Les nombreuses scènes de foule, décrites dans les livres II à V consacrés au destin collectif du peuple d’Israël, intéressent peu Rembrandt qui préfère s’attacher au destin individuel de l’homme et à son expérience personnelle face à Dieu. Seuls quelques épisodes, consacrés à la vie de Moïse – comme celui du buisson ardent –, ont retenu l’attention de l’artiste.
Le dessin de Grenoble, une copie d’un de ses élèves d’après une composition du maître, Moïse et le buisson ardent, fait partie de ces quelques oeuvres où Rembrandt illustre la vie du patriarche[1]. La plus célèbre et la plus réussie est le fameux Moïse brisant les tables de la Loi (Berlin, Gemäldegalerie). Dans cette peinture, Rembrandt place le patriarche au centre de la composition. Celui-ci vient de quitter le désert et arrive sur la montagne de Horeb avec son troupeau. L’artiste représente Moïse surpris et bouleversé par un faisceau lumineux divin indiquant le buisson ardent[2]. Rembrandt n’a pas dessiné l’ange qui, selon le livre de l’Exode, apparaît dans cette lumière car son intérêt se porte comme toujours sur la réaction de l’homme face au divin. Le visage, les gestes et la raideur corporelle suggèrent merveilleusement bien l’étonnement qui saisit Moïse. La nature environnante n’est que rapidement esquissée, à l’aide de quelques traits de plume. Le dessin de Rembrandt considéré comme original a été vendu à Londres chez Christie’s le 23 mars 1982 (n° 69). Connu depuis les recueils de Lippmann, ce dessin, qui porte un faux monogramme et une fausse date (1635), a été autrefois accepté par les spécialistes et daté vers 1655. Cependant, il faudrait se demander s’il ne s’agit pas d’une copie d’après un original perdu de Rembrandt, comme le dessin de Grenoble[3]. Benesch compare la feuille avec deux dessins en particulier, qui ont été éliminés du corpus de Rembrandt. Un dessin au Kupferstichkabinett de Berlin, illustrant Élie, a été donné à Willem Drost par Holm Bevers en 2006[4] et Un berger et son troupeau (Jacob et le troupeau de Laban), attribué à Gerbrandt van den Eeckhout, avec point d’interrogation, par Giltaij[5]. Dans sa recension d’une exposition de dessins au Burlington Fine Arts Club, Roger Fry attire l’attention, dans un très beau texte, sur ce Moïse et le buisson ardent et son extraordinarily suggestive use of line[6]. Pour suggérer le faisceau lumineux, Rembrandt se sert même ici d’un couteau et incise la feuille.
La pratique de la copie dessinée est une des premières étapes que doivent effectuer les élèves inscrits dans l’atelier de Rembrandt, et qui, selon les rares documents conservés, doivent payer fort cher pour être instruits par ce grand pédagogue. Dans un texte fondamental, traitant sous toutes ses facettes la question de Rembrandt professeur, Werner Sumowski décrit son atelier comme un lieu situé entre l’ancestrale formation des artistes par les guildes et les académies, nées dans l’Italie de la Renaissance et imitées dès la fin du XVIe siècle dans les Pays-Bas, notamment à Haarlem[7]. Imiter le maître comme dans le passé mais aussi travailler d’après le modèle nu, comme dans les académies, sont les préceptes d’apprentissage en usage chez Rembrandt. Cette double pratique crée une atmosphère de travail unique.
La belle copie de Grenoble montre toute la difficulté de cet exercice premier qui consiste à imiter les dessins du maître. La spontanéité de la plume de Rembrandt, son art de suggérer plutôt que de décrire n’obligent pas seulement l’élève à oublier sa manière propre mais plus encore à se soumettre à une chose (presque) impossible. Sumowski nous fournit un autre exemple de comparaison avec Le Lévite à Gibéa de Francfort (Städelsches Kunstinstitut) et sa copie plus faible dans une collection particulière à New York[8]. Il existe une autre copie très proche du dessin de Grenoble, vendue chez Sotheby’s à Londres, le 27 janvier 1966 sous le nom de Ferdinand Bol (n° 91), ce qui souligne encore l’importance de la composition de Rembrandt. Dans la vente du marquis de Calvière, entre le 5 et 20 mai 1779 (n° 313), un dessin de Rembrandt illustrant Moïse et le buisson ardent a été catalogué. Les indications sont trop sommaires pour préciser si cette feuille correspond à l’une des trois oeuvres connues aujourd’hui.


[1] Voir Tümpel, 1969, p. 153-157.
[2] Exode, 3, 1-3.
[3] Voir Benesch, 1973, V, n° 951, repr. fig. 1160.
[4] Voir Benesch, 1973, V, n° 944.
[5] Voir Benesch, 1973, V, n° 1157, et Giltaij, 1988, n° 67.
[6] Voir Fry, 1918, p. 62.
[7] Voir Sumowski, 1983, I, p. 9-24.
[8] Voir Sumowski, 1983, I, repr. p. 28-29.

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