Diane enlevant Iphigénie

Giacomo DEL PO
1713 - 1723
69,8 x 37,7 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3551, n°1410).

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Les dimensions imposantes du dessin et la forme chantournée de la feuille, bordée d’un double trait d’encadrement faisant office de cadre feint, signifient que cette œuvre graphique est un modello destiné à être soumis à un commanditaire. Le schéma oblong de la composition et l’étagement ternaire de la disposition des groupes de figures, établi de manière ascensionnelle, constituent un autre signe en matière de modélisation des formes : il s’agit d’un projet destiné à orner un plafond.
L’ordonnateur de cette composition a mis en scène un sujet classique tiré d’Euripide et des Métamorphoses d’Ovide : le moment où Iphigénie, promise au sacrifice pour rendre les vents favorables au départ de la flotte grecque pour Troie, échappe au supplice grâce à l’apparition de Diane qui l’enlève et la remplace par une biche à l’instant fatidique et péripétiel. Sur le dessin, l’animal trône sur l’autel. Celui-ci occupe le centre exact de la composition autour duquel se pressent le prêtre, le père de la belle (Agamemnon), les assistants et la foule. Juste au-dessus, la fille du héros grec monte au ciel ; Diane a quitté son char pour l’accompagner dans son élévation. Enfin, un troisième groupe de figures équilibrant la composition de part et d’autre de l’autel est établi en bas de la composition: il est composé d’un cavalier pointant du doigt la biche et de deux soldats.
Le Napolitain Giacomo del Po est l’auteur de ce dessin. Plusieurs dessins comparables pourraient être mis en regard. On se contentera de faire appel à un dessin conservé au Louvre. Il s’agit également d’un projet pour un plafond représentant Vénus et Psyché conduisant Cupidon dans l’Olympe[1]. Le mouvement ascensionnel de la composition et les signes graphiques sont fort semblables, voire identiques. Autre point commun (que l’on retrouve chez Solimena mais qui atteint chez Del Po un tel degré de paroxysme que ce trait en devient comme idiosyncrasique) : toutes les figures sont animées de mouvements gesticulatoires, bras ouverts, draperies flottantes, gestes déclamatoires ; tout bouge, tout papillonne, tout vibre (et le lavis dans le dessin de Grenoble accompagne et accentue cette impression).
Malheureusement, comme l’a déjà remarqué A. Brejon, aucune peinture plafonnante de Giacomo del Po ne reprend la disposition proposée sur cette feuille. Tout ce que l’on peut dire est que Del Po se cite et cite. On retrouve ainsi la pose des chevaux quasi identique mais inversée dans le bozzetto[2] d’un plafond du palais du Belvédère à Vienne représentant Apollon sur le char du Soleil aujourd’hui détruit. Celle d’Iphigénie est très proche de l’attitude d’une figure jetant des fleurs, dessinée sur la feuille du Louvre susmentionnée, préparatoire aussi à un plafond du palais du Belvédère. Quant au mouvement impétueux du cheval, il n’est pas sans rappeler le destrier sculpté par Bernin dans l’atrium de Saint- Pierre du Vatican sur lequel Constantin eut sa vision. On pourrait dire enfin que Giacomo del Po adapte, transpose, déplace un dispositif iconographique appartenant à un autre sujet, cette fois-ci biblique, celui de l’Adoration du Veau d’or. Pour être plus précis, c’est dans un tableau de Nicolas Poussin que le peintre napolitain est allé chercher ce dispositif[3] (Londres,National Gallery) : il lui emprunte le positionnement central de l’autel qui, dans l’œuvre de Poussin, est un piédestal, celui du Veau d’or et qui, dans le dessin, devient le lieu même du sacrifice ; le geste de Calchas placé à main droite, sa draperie, son air de tête sont issus de la figure d’Aaron peinte par Poussin. On voit combien Giacomo del Po s’imprègne de références appartenant à l’histoire de la peinture et de la sculpture pour mettre en place son propre sujet.
En raison de la proximité de certaines des attitudes et poses avec des dessins et peintures datant de la période au cours de laquelle le peintre travaille pour le comte Daun, vice-roi de Naples et pour le prince Eugène pour son palais viennois, il semble tout naturel de dater la feuille grenobloise de cette époque (entre 1713 et 1723).


[1] Inv. 18242.
[2] Opocno, Staatliches Schloss.
[3] Giacomo del Po devait connaître la gravure d'Etienne Baudet réalisée vers 1684.

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