Diane enlevant Iphigénie
Les dimensions imposantes du dessin et la
forme chantournée de la feuille, bordée d’un
double trait d’encadrement faisant office de
cadre feint, signifient que cette œuvre
graphique est un modello destiné à être soumis
à un commanditaire. Le schéma oblong de la
composition et l’étagement ternaire de la disposition
des groupes de figures, établi de manière
ascensionnelle, constituent un autre signe en
matière de modélisation des formes : il s’agit
d’un projet destiné à orner un plafond.
L’ordonnateur de cette composition a mis en
scène un sujet classique tiré d’Euripide et des
Métamorphoses d’Ovide : le moment où
Iphigénie, promise au sacrifice pour rendre les
vents favorables au départ de la flotte grecque
pour Troie, échappe au supplice grâce à l’apparition
de Diane qui l’enlève et la remplace par
une biche à l’instant fatidique et péripétiel. Sur
le dessin, l’animal trône sur l’autel. Celui-ci
occupe le centre exact de la composition autour
duquel se pressent le prêtre, le père de la belle
(Agamemnon), les assistants et la foule. Juste
au-dessus, la fille du héros grec monte au ciel ;
Diane a quitté son char pour l’accompagner
dans son élévation. Enfin, un troisième groupe
de figures équilibrant la composition de part et
d’autre de l’autel est établi en bas de la composition:
il est composé d’un cavalier pointant du
doigt la biche et de deux soldats.
Le Napolitain Giacomo del Po est l’auteur de ce
dessin. Plusieurs dessins comparables pourraient
être mis en regard. On se contentera de faire
appel à un dessin conservé au Louvre. Il s’agit
également d’un projet pour un plafond représentant
Vénus et Psyché conduisant Cupidon
dans l’Olympe[1]. Le mouvement ascensionnel de
la composition et les signes graphiques sont fort
semblables, voire identiques. Autre point
commun (que l’on retrouve chez Solimena
mais qui atteint chez Del Po un tel degré de
paroxysme que ce trait en devient comme
idiosyncrasique) : toutes les figures sont
animées de mouvements gesticulatoires, bras
ouverts, draperies flottantes, gestes déclamatoires ; tout bouge, tout papillonne, tout vibre
(et le lavis dans le dessin de Grenoble accompagne
et accentue cette impression).
Malheureusement, comme l’a déjà remarqué
A. Brejon, aucune peinture plafonnante de
Giacomo del Po ne reprend la disposition
proposée sur cette feuille. Tout ce que l’on peut
dire est que Del Po se cite et cite. On retrouve
ainsi la pose des chevaux quasi identique mais
inversée dans le bozzetto[2] d’un plafond du
palais du Belvédère à Vienne représentant
Apollon sur le char du Soleil aujourd’hui
détruit. Celle d’Iphigénie est très proche de
l’attitude d’une figure jetant des fleurs, dessinée
sur la feuille du Louvre susmentionnée, préparatoire
aussi à un plafond du palais du Belvédère.
Quant au mouvement impétueux du
cheval, il n’est pas sans rappeler le destrier
sculpté par Bernin dans l’atrium de Saint-
Pierre du Vatican sur lequel Constantin eut sa
vision. On pourrait dire enfin que Giacomo del
Po adapte, transpose, déplace un dispositif
iconographique appartenant à un autre sujet,
cette fois-ci biblique, celui de l’Adoration du
Veau d’or. Pour être plus précis, c’est dans un
tableau de Nicolas Poussin que le peintre
napolitain est allé chercher ce dispositif[3]
(Londres,National Gallery) : il lui emprunte le
positionnement central de l’autel qui, dans
l’œuvre de Poussin, est un piédestal, celui du
Veau d’or et qui, dans le dessin, devient le lieu
même du sacrifice ; le geste de Calchas placé à
main droite, sa draperie, son air de tête sont
issus de la figure d’Aaron peinte par Poussin.
On voit combien Giacomo del Po s’imprègne
de références appartenant à l’histoire de la
peinture et de la sculpture pour mettre en place
son propre sujet.
En raison de la proximité de certaines des
attitudes et poses avec des dessins et peintures
datant de la période au cours de laquelle le
peintre travaille pour le comte Daun, vice-roi
de Naples et pour le prince Eugène pour son
palais viennois, il semble tout naturel de dater
la feuille grenobloise de cette époque
(entre 1713 et 1723).
[1] Inv. 18242.
[2] Opocno, Staatliches Schloss.
[3] Giacomo del Po devait connaître la gravure d'Etienne Baudet réalisée vers 1684.
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