Etude de tête pour Les Conscrits

Pascal Adolphe Jean DAGNAN-BOUVERET
1889
29 x 22,2 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Don de M. Maciet le 5 juin 1908

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Lorsque Pascal Adolphe Jean Dagnan-Bouveret (1852-1929) expose Les Conscrits au Salon du Champ-de-Mars en 1891[1], la toile remporte un succès immédiat. Sacrée icône du patriotisme républicain, elle connaît un retentissement international. Sélectionnée pour l’Exposition universelle de Chicago de 1893, sans y être envoyée, elle est achetée par un riche collectionneur américain, et ce n’est qu’au zèle de quelques admirateurs qu’elle doit d’être rachetée par l’État en juin 1892 et déposée au centre même du pouvoir, à l’Assemblée nationale, où elle est restée jusqu’en 2016, avant d’être restituée au Centre national d’art contemporain. L’élaboration des Conscrits s’étend sur deux ou trois années. Dans une lettre adressée à Eugène Burnand (non datée), Dagnan-Bouveret écrit : « Je commence les dessins de mon prochain tableau, un travail sérieux de huit ou dix figures pas du tout bretonnes cette fois. Je vais peindre cinq ou six jeunes paysans en blouses ! Ce seront les “Conscrits” du village, bras dessus bras dessous ils défileront, de trois quarts, à mi-corps, précédés d’un tambour et d’un jeune gamin portant le drapeau[2]. » Daté de septembre 1889, le dessin du musée de Grenoble est une étude de tête de l’un de ces conscrits. La simplicité du dessin témoigne du souci de précision de Dagnan qui, comme son maître Gérôme, s’intéresse de près à la photographie. Si l’on connaît plusieurs études de têtes des Conscrits[3], il est probable qu’il existe aussi des photographies séparées de chacune d’entre elles. Dagnan a l’habitude de décalquer les clichés et de les reporter directement sur toile. Néanmoins, le dessin du musée est réalisé sur un papier calque industriellement contrecollé en plein sur carton. Il ne joue donc pas à proprement parler son rôle de papier de report. L’artiste s’applique aussi à traduire la complexité du sentiment patriotique des paysans français, en livrant une vision grave et spiritualisée de la conscription. Créée en 1798 par la loi Jourdan, puis supprimée sous la Restauration, la conscription est rétablie après la défaite de 1870[4]. Mais loin de l’image d’Épinal du gaillard pimpant et « bon pour le service », les conscrits de Dagnan paraissent « plutôt résignés qu’entraînés, et beaucoup moins enthousiastes que dociles »[5]. Le regard grave de notre personnage, plus intense encore sur le dessin que sur la toile, témoigne de sentiments ambivalents. Le tableau étonne d’ailleurs les critiques contemporains. Certains célèbrent la « pieuse fidélité » de ces paysans « pénétrés de leur devoir », « agrandis et ennoblis par l’âme de la patrie ». D’autres les jugent antipatriotiques et contestent l’achat de l’État en 1892. D’après un témoignage d’époque, « l’artiste a voulu montrer que ce n’est point de gaité de cœur que ces jeunes gens abandonnent leur foyer, mais c’est plutôt résolument qu’ils le défendraient, s’il venait à être menacé »[6]. Remarquons, enfin, que ce dessin est offert en 1908 par Jules Maciet (1846-1911), ami du général de Beylié et célèbre collectionneur qui disperse, sa vie durant, des milliers de dons à tous les musées de France.


[1] Pascal Adolphe Jean Dagnan-Bouveret, Les Conscrits, Salon de 1891, n°233, Paris, CNAP.
[2] Pauline Grisel, P. A. J. Dagnan-Bouveret à travers sa correspondance, D.E.A. d’histoire de l'art, université Lumière Lyon 2.
[3] On connaît au moins cinq autres études pour ce tableau : une esquisse de la femme et de l’enfant est conservée au musée de Cincinnati, une autre tête de conscrit, non localisée, est reproduite dans un article de la Gazette des beaux-arts de 1909, à l’occasion d’une exposition consacrée aux dessins de Dagnan-Bouveret (Georges Lafenestre, « L’exposition d’études, dessins et pastels de M. Dagnan-Bouveret à la Société nationale des beaux-arts, in Gazette des beaux-arts, juin 1909). Enfin, Gabriel Weisberg, spécialiste de l’artiste, a identifié trois dessins dans des collections privées. Le premier dessin représente la seconde tête en partant de la gauche, comme le dessin du musée de Grenoble ; le second montre les trois premières figures en partant de la gauche ; le troisième détaille la troisième figure en partant de la gauche.

[4] La loi de recrutement de 1872 établit un système de tirage au sort qui perdurera jusqu’en 1905. La classe de 1891 était encore mobilisable en 1914, de sorte qu’elle a sans nul doute servi sous les drapeaux pendant la Première Guerre mondiale.
[5] Article de presse non référencé dans la documentation du musée d’Orsay.
[6] _Ibid. _

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