Moines au réfectoire

François Marius GRANET
XIXe siècle
29,4 x 38 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (dessins encadrés, n°13)

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D’origine modeste, François Marius Granet reçoit ses premières notions de dessin et de peinture dans sa ville natale, Aix-en-Provence, auprès de Jean Antoine Constantin. C’est dans l’atelier de ce dernier qu’il fait la connaissance du comte Auguste de Forbin, qui devient dès lors, et pour l’ensemble de sa carrière, son protecteur et ami[1]. Par son entremise, il suit à Paris l’enseignement de Jacques Louis David. En 1802, c’est ensemble que les deux amis entreprennent un voyage à Rome. Le séjour de Granet dans la Ville Éternelle durera jusqu’en 1824, entrecoupé de retours à Paris pour participer au Salon. Si l’artiste réserve ses premiers éblouissements aux monuments antiques, qui marquent encore profondément la physionomie de Rome – et en particulier le Colisée –, il est très vite sensible à l’atmosphère mystérieuse et ténébreuse des couvents, souterrains, cloîtres, cryptes et catacombes qui abondent dans la ville. Un des premiers tableaux que l’artiste consacre à ce thème – qui deviendra une sorte de marque de fabrique au point que Théophile Gautier le surnommera « le peintre des cloîtres » – s’attache au souterrain de San Martino a’ Monti. « Il faut avoir vu ce lieu, qui sert de sépulture des religieux, et dont l’aspect funèbre répond à l’air fétide qu’on y respire, pour apprécier le courage d’artiste dont on a besoin de s’armer pour y peindre, durant plus de deux mois, au risque d’y laisser sa vie[2] », nous rapporte M. Raoul Rochette, en 1850, dans la notice historique qu’il consacre à Granet, mort l’année précédente. Mais son œuvre la plus célèbre est sans doute le_ Chœur des Capucins_, dont le succès est tel – à Rome dès 1812 puis au Salon de 1819 –, que l’artiste en réalisera plusieurs dizaines de versions. Le musée de Grenoble possède l’une d’elles, achetée en 1937[3]. Peint à Rome alors que les Français occupent la ville et vident les couvents, ce tableau manifeste la volonté de Granet, fervent catholique, de redonner sa vocation religieuse à ce lieu de culte abandonné. Il n’hésite pas pour cela à faire poser d’anciens frères dans un costume de capucin. Ce thème des religieux réunis dans le secret d’une église ou d’un monastère, saisis dans leur vie quotidienne, comme ici au réfectoire, est aussi le sujet d’innombrables dessins à la plume et à l’encre brune, où l’artiste parvient, par une gradation de teintes, à rendre l’atmosphère si particulière des salles voûtées des édifices médiévaux. Cette feuille de grand format met en scène un rituel propre à la vie monastique : le repas partagé en silence par les religieux, silence brisé seulement par la lecture du frère de service, installé dans la chaire. Au centre, l’abbé préside les tables qui se déploient de part et d’autre, le long des murs. À l’exception de quelques traits de plume, la scène est entièrement construite à la pointe du pinceau, par plages de lavis d’encre plus ou moins transparentes, qui parviennent à donner aux robes des frères la densité de la bure mais aussi à rendre les effets de lumière qui dessinent le berceau de la voûte. Si ce dessin, comme la plupart des lavis sur ce thème, a sans doute été fait à Rome, il est difficile de le dater plus précisément, Granet répétant à l’envie les mêmes sujets, dans une technique assez proche. Son abondante production graphique a été léguée par testament à sa ville natale[4], à l’exception de deux cents feuilles distraites du legs pour entrer au musée du Louvre. Mais le dessin de Grenoble, provenant de la collection de Léonce Mesnard, a pu être acheté lors de la vente après décès de Granet en 1853[5] ou même de son vivant, par le père ou le beau-père du collectionneur, tous deux amateurs d’art[6]. On peut supposer en effet que l’artiste a très tôt fait commerce de ses feuilles : « Je t’engage à faire des dessins à tes moments perdus ! On a, à présent, la rage des dessins, et ils se payent très bien, surtout les tiens » suggère le comte de Forbin à son ami Granet resté en Italie, dans une lettre du 21 juillet 1821[7].


[1] C’est grâce au comte de Forbin, nommé directeur des musées royaux, qu’il devient conservateur des peintures du musée du Louvre en 1826.
[2] « Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Granet par M. Raoul-Rochette, secrétaire perpétuel, lue en séance publique du samedi 4 octobre 1850 » in Académie des Beaux-Arts, séance annuelle, Paris, 1851, p. 49 à 83, citation p. 69.
[3] François Marius Granet, Chœur de la chapelle des Capucins,_ place Barberini à Rome_, MG 2856.
[4] Le musée Granet à Aix-en-Provence a hérité de toutes les collections de l’artiste à sa mort.
[5] Vente après décès de tableaux anciens de toutes les écoles, études, esquisse et ébauches de M. Granet […], Paris, le vendredi 28 janvier 1853, Paris, 1853.
[6] Maxime David, peintre miniaturiste, est le beau-père de Mesnard. Quant à son père, Jacques André Mesnard, ses fonctions officielles (il est vice-président du Sénat) le mettent en contact avec de nombreuses personnalités, dont des artistes.
[7] Cité dans Arlette Sérullaz, Louis Franck et Lina Propeck, Granet, Louvre, cabinet des Dessins, Paris, 2006, p. 6

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