Le Christ à Emmaüs

D’abord formé à Gênes dans l’atelier du peintre maniériste siennois Pietro Sorri, Bernardo Strozzi tire son premier surnom, Il capuccino ou Il prete genovese, de son passage chez les capucins de Santa Barnaba pour lesquels il réalise de petits tableaux de dévotion et dont il quitte le monastère en 1610. S’il subit l’influence des Milanais et particulièrement celle de Giulio Cesare Procaccini, il est également marqué par le naturalisme des peintures de Van Dyck et de Rubens, tous deux actifs un temps à Gênes. Installé en 1633 à Venise, il assimile la leçon des peintres vénitiens du XVIe siècle qu’il avait déjà observés dans les collections génoises. Les Pèlerins d’Emmaüs appartient au tout début de la période vénitienne de l’artiste. Rompu aux formes caravagesques, le peintre a traité à plusieurs reprises ce thème extrait de l’Évangile de Luc. Après la Résurrection, deux disciples rencontrent un pèlerin sur la route d’Emmaüs. Ébahis, ils ne reconnaissent le Christ qu’au moment précis où dans l’auberge celui-ci rompt le pain. Strozzi a pu voir le tableau de Caravage (aujourd’hui conservé à Londres à la National Gallery) dans la collection Mattei à Rome et lui fait maints emprunts : personnages à mi-corps, source lumineuse latérale, rugosité et allure plébéienne des disciples. Formellement, l’artiste recompose et clarifie le Repas chez Simon (Galerie de l’Accademia, Venise) exécuté quelques années plus tôt à Gênes. Le cadrage serré, les personnages grandeur nature, les positions de la chaise et du disciple de dos donnent le sentiment d’assister par surprise et presqu’en voyeur à la scène. Strozzi sait, par la vivacité des regards, la simplicité de la mise en page et la clarté de sa palette, donner à ce moment de révélation une profonde humanité. Œuvre de maturité, Les Pèlerins d’Emmaüs se situe aux confins de la période génoise et de la période vénitienne.