Etude de deux cavaliers combattant

Salvator ROSA
XVIIe siècle
Plume et encre brune, lavis d'encre brune, traces de pierre noire, trait d'encadrement rapporté à la plume et à l'encre brune, sur papier vergé crème collé en plein
26,5 x 16,8 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (carton sans numéro, n°2332).

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Cette feuille est à insérer dans l’important dossier préparatoire du grand tableau de bataille du musée du Louvre, commandé à Salvator Rosa par monseigneur Neri Corsini, nonce du pape Innocent X en France, et commencé en août 1652 (inv. 585). L’intention du nonce était de l’offrir à Louis XIV. Rosa, dans une lettre datée du 27 août 1652, évoque cette commande et le peu de goût qu’il avait à peindre de tels sujets : « Je crois que vous savez combien je trouve répugnant cette sorte de sujets, même si c’est un genre dans lequel j’ai à cœur de surpasser tous les peintres qui voudraient me concurrencer ; je ne parle pas de la fatigue extraordinaire qu’exige un tel ouvrage. [...] Vous savez déjà que j’ai fait presque vœu de ne plus exécuter de semblables tableaux, à moins qu’ils ne me soient payés à l’égal de Raphaël et de Titien. » Le tableau, terminé en octobre 1652, ne fut pourtant remis à Louis XIV qu’en août 1664 par le nouveau nonce, le cardinal Flavio Chigi, et ce en raison des troubles liés à la Fronde.
Rosa a représenté à plusieurs reprises des scènes de bataille, malgré le peu d’intérêt qu’il portait à ce genre, tout attiré qu’il était par des sujets plus philosophiques ou relevant de la peinture d’histoire. À Naples, où il s’était formé auprès du peintre de batailles Aniello Falcone, il a dû commencer sa carrière en peignant des chocs de cavalerie et c’est par un tableau de ce type, daté de 1637, qu’il se fait connaître à Rome. Le prestige de cette commande, lié à l’importance de la personne à qui l’œuvre était destinée, amène Rosa à s’investir pleinement dans la conception et la réalisation du tableau, d’autant plus qu’il ne dispose que de quarante jours (c’est ce que dit Rosa dans sa lettre) pour mener à bien une composition d’un format imposant, fourmillant de soldats combattant et de cavaliers s’entrechoquant dans un tumulte impressionnant. Il en résulte que son dossier génétique est le plus riche de toute sa production peinte. Près de cinquante dessins sont ainsi conservés, appartenant pour la plupart d’entre eux au Museum der bildenden Künste de Leipzig. Aucun dessin d’ensemble n’est curieusement conservé, ni même des dessins de groupes de figures. La quasi-totalité des études parvenues appartiennent à des premières pensées de figures de combattants, esquissées fiévreusement sur des feuilles qui semblent avoir été coupées par le dessinateur lui-même, avec parfois des reprises de détails. La facture du dessin de Grenoble est différente de celle qui caractérise ces feuilles : le trait se fait moins impétueux et est pratiquement exempt de reprises. Rosa semble avoir dessiné ici pour mettre au net de manière toutefois synthétique des attitudes précédemment étudiées sur d’autres feuilles[1] (cette netteté va jusqu’à prévoir le motif ornant le bouclier, figuré sous la forme d’une ligne serpentante). Les deux figures ne sont pas pour autant reliées, dirions nous, diégétiquement entre elles. Elles sont volontairement isolées : la lance du cavalier du haut est coupée et le bouclier du cavalier du bas est dirigé vers une menace mise en réserve à l’instar de son corps, suspendu dans le vide. Et pourtant, dans la peinture, ces deux figures sont des cavaliers se faisant face et combattant entre eux (ils sont situés à senestre) : le cavalier supérieur est en effet en train d’enfoncer sa lance dans le corps du cavalier inférieur (fig. 1). Cette séparation dans l’espace du dessin est tout simplement un fait d’étude. C’est la pose qui intéresse Rosa, non la jonction des figures entre elles. Aussi éloignés qu’ils soient sur la feuille, Rosa les a cependant réunis. Cette remarque a son importance car les deux études antérieures qu’il a sûrement utilisées pour réaliser le dessin de Grenoble sont des feuilles isolées et disjointes. Sur la première[2], seul est dessiné le cavalier du haut, et sur la seconde[3], on y trouve des têtes de cavaliers correspondant à un cavalier placé à l’extrême droite du tableau, un morceau d’architecture et la figure du cavalier se protégeant à l’aide de son bouclier. Face à un tel chaos de figures, disséminées sur une multitude de feuilles, Rosa a dû utiliser une sorte de dessin faisant office de fil rouge qui, au cours du processus d’étude, a dû évoluer. Ce dessin ou ces dessins lui servaient de repère pour reconstituer les groupes de figures. Tout ce matériel a malheureusement disparu.


[1] Le dossier génétique de cette peinture conserve d’autres dessins de ce type caractérisés par un tracé plus assuré. Citons en particulier un dessin appartenant à la National Gallery of Scotland d’Édimbourg en rapport avec trois figures de combattants au premier plan à dextre.
[2] Conservé à Leipzig, inv. Nr. NI. 9005.
[3] Conservé à Leipzig, inv. Nr. NI. 9001.

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