Jeune fille soufflant sur une fleur

Pierre PUVIS DE CHAVANNES
1872
29,9 x 13,6 cm
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Acquisition :
Don des héritiers de Puvis de Chavannes en 1899

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Cette Jeune Fille soufflant une fleur, au modelé puissant tracé au crayon noir et gras savamment estompé, prépare la figure de la jeune fille en rose, à droite du tableau Les Jeunes Filles et la Mort de 1872 (conservé au Clark Institute, Williamstown). Cette étude d’après le modèle vivant, naturelle dans sa posture et ses gestes, perd peu à peu de son réalisme au fur et à mesure qu’elle incarne une de ces jeunes beautés, inconscientes de la présence funeste de la Mort, cette forme noire et inquiétante armée d’une faux qui gît à leurs pieds. Le poète parnassien Armand Silvestre nous éclaire sur le thème du tableau, inspiré librement du lied de Schubert, Les Jeunes Filles et la Mort, datant de 1817 : « Est-ce le Temps qui […] guette ce chœur charmant de jeunes filles ? Deux d’entre elles ont quitté la ronde bruyante et, savamment enlacées, caressent de leur main libre, celle-ci un fruit, celle-là une fleur bleue[1]. » L’atmosphère onirique du tableau réside aussi bien dans le sujet que dans son traitement pictural. Synthétique, le paysage offre juste un écrin de verdure où l’artiste dispose son bouquet coloré de jeunes filles, dont l’une est entraînée dans une ronde mortelle dans le fond du tableau. L’artiste transforme peu à peu ces êtres de chair et de sang en figures éthérées, vêtues de couleurs pastel, effleurant le sol jonché de fleurs sans jamais y laisser une ombre. Dans le dessin de Grenoble, les formes généreuses du modèle – qui se détachent avec plus de volume encore sur le fond par l’ajout de hachures sombres – se dissolvent peu à peu dans la peinture sous les étoffes drapées. Ni toges antiques, ni robes précisément datées, ces costumes placent la scène hors du temps. De ce processus d’épuration du réel vers l’idéal, il nous est possible de suivre le cheminement de Puvis grâce à un autre dessin préparatoire pour ce groupe de deux jeunes filles, conservé au Minneapolis Institute of Art (inv. 42.11). Sous les longs plis verticaux de la robe, la jeune fille de droite acquiert soudain un certain hiératisme antique, son bras s’affine, ses gestes se figent et toute trace de la personnalité de son modèle s’efface. L’esquisse à l’huile conservée à Londres , aux contours flous et aux coloris plus denses que dans la composition finale, organise la disposition dans l’espace des figures réduites à l’état de spectres. Cette esquisse est une vision qui, comme chez Fantin-Latour, précède le travail sur le modèle vivant de chaque personnage et intervient donc avant le dessin de Grenoble. « Tant que le modèle ne lui aura pas, spontanément et d'instinct, mis sous les yeux la réalité de sa vision, il en recommencera l'étude », nous explique Marius Vachon[2]. Ce travail d’épure de l’idée, de simplification des formes, d’atténuation des teintes, de transformation de la nature pour qu’elle se glisse dans les replis de la vision première est ainsi résumé par l’artiste : « Comment réussit-on quand on veut aider la nature à s’exprimer ? Par abréviation et simplification[3]… »


[1] Armand Silvestre, préface à Galerie Durand-Ruel : recueil d’estampes gravées à l’eau-forte, Paris, 1873.
[2] Marius Vachon, Puvis de Chavannes, Paris, 1900, p. 46.
[3] Cité dans Philippe Jullian, Les Symbolistes, p. 38.

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