Étude de draperie pour la Vierge du Sacré-Coeur d’Ajaccio

Eugène DELACROIX
vers 1820
Fusain, rehauts de craie blanche sur papier vélin chamois insolé
56 x 42 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3555, n°1144)

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Chef de file du romantisme – privilégiant dans ses œuvres les séductions de la couleur au détriment des rigueurs de la ligne – Eugène Delacroix ne pouvait qu’admirer les peintures de Titien, Véronèse ou Rubens. On est plus surpris en revanche de découvrir l’influence des grands maîtres de la Renaissance, Raphaël et Michel-Ange [1], dans ses œuvres de jeunesse comme cette très belle Étude. Entrée au musée grâce à la collection Mesnard, cette imposante draperie – assez rare dans son œuvre, aussi bien par le format que par la technique – est préparatoire à la figure de la Vierge dans La Vierge du Sacré Cœur, appelée aussi le Triomphe de la Religion ou Notre-Dame des Douleurs. À l’origine, cette commande – passée en janvier 1820 par le ministre de l’Intérieur [2] – s'adresse à Géricault qui, peu tenté par le sujet ou trop malade pour se lancer dans une telle entreprise, en confie secrètement la réalisation à son condisciple Eugène Delacroix dans l’atelier Guérin. Celui-ci, connaissant alors des difficultés financières, accepte le travail. L’œuvre est signée par Géricault et les deux artistes se partagent la somme allouée. Le tableau, à l’origine destiné à la cathédrale de Nantes, est finalement envoyé à Ajaccio, où il orne encore le premier autel à gauche de l’entrée. Delacroix écrit à sa sœur le 28 juillet 1820 pour l’informer qu’il vient de lui « arriver une commande […] pour un évêque de Nantes » [3]. Il ajoute qu’il doit soumettre à celui-ci « des esquisses et des ébauches » de son projet. Dès juillet 1820, Delacroix entame ses études, mais l’inspiration ne lui vient pas facilement. Il ne part pourtant pas de rien car Géricault a dressé les grandes lignes de la composition du tableau dans un croquis, aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum de New-York [4]. On y voit la Vierge tenant dans la main droite un cœur enflammé (le Sacré-Cœur) et dans la gauche, une croix. Elle est posée sur un lit de nuages porté par des anges. Mais Delacroix s’éloigne de plus en plus de ce schéma de départ pour élaborer sa propre vision du sujet, faisant varier aussi bien la position de la Vierge que le nombre de personnages assistant à la scène. Dans une lettre écrite en 1821 à sa sœur, Delacroix avoue : « Je fais, je défais, je recommence et tout cela n’est point ce que je cherche encore. » Témoignant de ses nombreuses hésitations, en particulier pour la figure de la Vierge, pas moins de dix-neuf dessins, études et esquisses préparent cette composition [5]. La draperie de Grenoble, étudiant avec virtuosité les effets de lumière sur le drapé fluide, soulignant et dissimulant les hanches et le buste de la Vierge, est le dessin le plus abouti de cette longue approche. On y distingue, dans l’angle inférieur gauche, le visage au nez pointu du personnage masculin qui se tient le menton dans l’esquisse peinte comme dans le tableau final. Cette feuille est très proche, par sa technique, de l’Étude de draperie (New York, Mark Brady Gallery) préparatoire à la Vierge des Moissons de 1819 [6], véritable citation du tableau de Raphaël, La Belle Jardinière, de 1505-1506. Mais dans la Draperie de Grenoble, la Vierge emprunte ses effets de drapés et sa position – les bras levés et un genou plus haut que l’autre – aussi bien à la figure de l’Allégorie féminine de la Justice de Raphaël sur la voûte de la Chambre de la Signature [7] qu’aux Sibylles et Prophètes de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine. L’artiste modifiera encore profondément les effets de drapés enserrant les genoux de la Vierge dans la toile finale.


[1] Delacroix rédige dans les années 1830 des articles sur chacun de ces deux peintres, qui permettent de cerner l’admiration qu’il leur voue : « Raphaël » et « Michel-Ange » paraissent en 1830 dans la Revue de Paris. Delacroix consacre aussi un essai à « Michel-Ange et le Jugement dernier », paru dans la Revue des Deux Mondes en 1837. Faute de pouvoir se rendre en Italie, il copie leurs œuvres à travers les gravures de la Bibliothèque nationale.
[2] Sur des crédits consacrés aux cultes. Voir à ce sujet cat. exp. Géricault, Paris, Galerie nationale du Grand Palais, 1991-1992, p. 301.
[3] Cit. dans ibid. p. 301.
[4] Inv. 2002.481.
[5] Ces dessins sont conservés au Louvre (RF 9196, RF 9197, RF 32245, RF 10343, RF 9141, RF 9161, ainsi que plusieurs feuilles dans l’album Eugène Delacroix 23) mais aussi à la Kunsthalle de Brême (inv. Nr.63/370) et dans la collection de Karen B. Cohen (voir cat. exp. Une Passion pour Delacroix, la collection Karen B. Cohen, Paris, musée national Eugène Delacroix, 2009-2010, nos 12 et 13, p. 41. Pour les dessins du Louvre, voir cat. exp. Mémorial de l’exposition Eugène Delacroix organisée au musée du Louvre à l’occasion du centenaire de la mort de l’artiste, Paris, Louvre, 1963, nos 6 à 13, p. 4 à 9.
[6] Cette feuille est passée en vente à Paris le 23 mars 2001 et a été acquise par la galerie Mark Brady à New York. Reproduite dans Louis-Antoine Prat, Le Dessin français au XIXe siècle, Paris, musée du Louvre/musée d’Orsay/ Somogy, 2011, no 475, p. 212
[7] La position des jambes est inversée par rapport à l’Allégorie de Raphaël.

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