Charlotte Perriand. La montagne re-créative
Du 4 avril au 23 août 2026, le musée de Grenoble consacre une exposition à Charlotte Perriand, figure majeure du design et de l’architecture du XXᵉ siècle. Cette manifestation met en lumière un pan encore méconnu de son œuvre : ses photographies de montagne, récemment données par les Archives Charlotte Perriand au musée de Grenoble. Ces images réalisées de 1927 à 1938, d’une intensité poétique rare, sont mises en dialogue avec quelques-unes de ses créations de mobiliers et de réalisations architecturales. L’exposition entend révéler la cohérence intime de l’univers créatif de Perriand, où la montagne ne se réduit jamais à un décor, mais s’affirme comme une matrice de pensée, un lieu de ressourcement et d’expérimentation formelle, à la fois concrète et spirituelle.
Née en 1903 à Paris, au sein d’une famille modeste dont les origines savoyardes nourriront plus tard son imaginaire, Charlotte Perriand appartient à cette génération d’artistes et de penseurs qui, dans l’entre-deux-guerres, ont voulu refonder le rapport entre l’homme, la technique et la nature. Formée à l’Union centrale des Arts décoratifs, elle s’impose très tôt dans le monde encore masculin du design et de l’architecture par son audace et son intuition.
Son œuvre témoigne d’un regard neuf, d’un œil « épris de modernité », pour reprendre ses mots, mais un œil ouvert à 360 degrés sur le monde. Cette curiosité insatiable l’amena à fréquenter les avant-gardes artistiques : Fernand Léger, Ozenfant, Picasso et Dora Maar entre autres dont les approches esthétiques nourrirent sa réflexion. Dans ce bouillonnement d’idées et d’expérimentations, elle forge peu à peu une pensée du design comme acte total — une manière d’habiter le monde plus qu’un simple art décoratif.
Dès les années 1920, elle conçoit des meubles modulaires, épurés, d’une rigueur fonctionnelle inédite, où la beauté découle de la justesse de l’usage. Mais au-delà de l’objet, Perriand poursuit une ambition plus vaste : repenser les conditions mêmes de l’habitat humain. Dans les stations de montagne, notamment aux Arcs, elle invente une architecture humaniste, intégrant le bâti au paysage, respectant la lumière, les matériaux et les rythmes naturels.
Si la contribution de Perriand au design moderne est aujourd’hui largement reconnue, son œuvre photographique, plus discrète, constitue pourtant une clé de voûte de son processus créatif. La photographie, pour elle, n’est ni un passe-temps ni une simple curiosité plastique : elle est un instrument de pensée. Perriand se tient sur la ligne claire du réel : elle cherche la structure sous la beauté, la géométrie sous le paysage. Ses photographies de montagne sont ainsi de véritables études d’architecte : lignes diagonales d’un glacier, verticales d’un pin, horizontales d’une crête, rythmes superposés d’une vallée. Rien n’y est fortuit ; tout y obéit à une logique interne, à une grammaire silencieuse du monde. La nature, observée avec une attention quasi méditative, devient le modèle d’une architecture vivante.