A woman consulting a catalogue
Considéré aujourd’hui comme l’un des artistes
les plus influents de sa génération, Jeff Wall
développe depuis près de trente ans une
recherche autour de l’image photographique,
de ses liens avec la peinture et de son statut
vis-à-vis du réel. Il compose à la manière d’un
peintre ou d’un cinéaste, de façon extrêmement
méticuleuse, des images qui ont l’apparence
d’instantanés. Ses grands cibachromes sont
placés dans des caissons lumineux qui leur
confèrent une présence d’une intensité toute
particulière.
Les photographies de Wall condensent des
réalités multiples et parfois contradictoires en
une seule image. Ce faisant elles reflètent la
nature dense et paradoxale de la vie dans les
sociétés contemporaines. Une Femme consultant
un catalogue illustre de manière exemplaire
cet aspect de son œuvre. À première vue, cette
photographie apparaît simplement comme
l’image banale d’une femme feuilletant un
catalogue d’objets d’art ancien dans le hall
d’une maison de vente. On la voit de dos, elle est
très élégante, sa toilette recherchée, presque
atemporelle, faisant écho au luxe légèrement
suranné du décor qui l’entoure. Tout contribue
dans cette scène d’intérieur à illustrer les valeurs
traditionnelles attachées à la délectation
artistique. Le silence feutré, la lumière tamisée,
le confort, voire le luxe des matières et des
meubles, sont les conditions requises à l’exercice
privilégié de la contemplation pour l’amateur.
Cependant, à cette scène qui rappelle les
intérieurs hollandais du siècle d’or – on pense à
Vermeer – est juxtaposée une vue extérieure. Elle
apparaît à travers l’une des fenêtres, telle une
composition abstraite : puzzle indéchiffrable,
mouvant, bruyant, du monde moderne. Deux
univers et deux temps s’opposent, celui, confus
et énigmatique, de la vie contemporaine et celui,
limpide et apaisé, de l’imaginaire et du passé.
Néanmoins, en situant le sujet dans l’enceinte de
l’une des plus anciennes et importantes maisons
de vente d’œuvres et d’objets d’art, l’artiste
ne laisse-t-il pas entendre que le commerce
– l’économie – a depuis longtemps investi le
domaine des arts ? Et que sous l’apparente
opposition entre l’effervescence industrieuse
du monde extérieur et la douceur onirique du
monde intérieur, les liens sont plus forts et plus
directs qu’on ne le supposerait d’emblée…