Portrait de Madeleine Bernard (recto)
La Rivière blanche (verso)

Paul GAUGUIN
Crédit photographique :
VILLE DE GRENOBLE / MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX
Localisation :
SA23 - Salle 23

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Madeleine Bernard n’a que dix-sept ans lorsqu’elle rejoint son frère, le peintre Émile Bernard, à Pont-Aven durant l’été 1888. De vingt-trois ans son aîné, Paul Gauguin en tombe amoureux et joue auprès d’elle le rôle d’un mentor. Ce portrait, peint à mi-corps, est campé de manière traditionnelle au sein d’un décor d’une grande sobriété. La présence des sabots, ornés de motifs bretons, évoque l’attachement de Madeleine à la Bretagne. Les larges plages de couleur où domine le bleu, brossées à l’aide d’une touche visible dans des tons nuancés, mettent le modèle en valeur de même que le dessin sinueux du visage et du bras, parfois souligné d’un cerne, qui contraste avec les surfaces rectilignes du fond. L’effet décoratif qui résulte de ce jeu de lignes et de contours montre l’influence qu’exercent alors l’estampe japonaise et le cloisonnisme d’Émile Bernard sur Gauguin. Désormais, celui-ci s’attache davantage au style qu’à la ressemblance avec le modèle. La jeune femme représentée dans cette toile ne semble pas aussi angélique que la jeune fille blonde aux yeux bleus des portraits peints par son frère ; elle paraît plus âgée et sa mise révèle une autre personnalité. L’attitude de la tête qui s’appuie sur la main est celle d’une femme perdue dans ses rêves. Mais les cheveux relevés en chignon, le regard énigmatique tourné vers le spectateur, les yeux maquillés et le dessin soigné des lèvres font d’elle une séductrice pleine de charme. Sans doute, par ces artifices, Gauguin veut-il faire prendre conscience à Madeleine Bernard de sa féminité et révéler le désir qu’elle éveille en lui… Longtemps attribué à Degas, l’illustration visible dans la partie supérieure du tableau est une gravure de Forain, intitulée À l’opéra, où l’on devine les abonnés de cette institution tenter de séduire des petits rats. Cette allusion à la perte de la pureté apparaît comme une mise en garde, tout comme le choix du bleu, couleur mariale, pour peindre le corsage. Une mise en garde que l’auteur semble s’adresser à lui-même, ce portrait étant un moyen de résister à sa propre tentation. Au cours de ce second séjour à Pont-Aven, Gauguin traverse une période de doute profond, accru par de grandes difficultés matérielles et un mauvais état de santé. Considéré comme l’un des plus remarquables portraits de la période bretonne, le tableau de Grenoble est aussi un vibrant témoignage de cette relation féconde qui s’est établie entre Gauguin, Émile Bernard et sa sœur Madeleine, tant au plan artistique que personnel.
Au revers du Portrait de Madeleine Bernard, Gauguin a peint La Rivière blanche, une vue de la rivière de l’Aven, proche du village de Pont- Aven. Le jeune Breton, de dos au premier plan, ne semble pas appartenir au même espace que celui des deux jeunes hommes sur la barque, en contrebas, tant la distance qui les sépare est importante. Par le truchement d’un cadrage serré, le ciel disparaît au profit de la rivière, qui semble se redresser. Cette mise en page avec vue plongeante, rupture d’échelle, suppression de l’horizon et étalement de plans, s’inspire de celles des estampes japonaises alors très en vogue à Paris. Le tableau date du début de l’été, comme l’indiquent la floraison de l’acacia et celle du buisson de ronces ainsi que la présence des baigneurs. C’est sûrement en raison d’un manque de toiles durant cette période estivale de 1888 que Gauguin peint ce tableau sur les deux faces (dans le sens vertical pour le portrait et horizontal pour le paysage). Du fait de sa différence de style avec le Portrait de Madeleine Bernard, ce paysage a souvent été daté à tort du premier séjour de Gauguin en Bretagne, en 1886. Mais plusieurs arguments prouvent que ces deux tableaux sont contemporains : les couleurs sourdes, chères à l’artiste à ce moment-là, l’influence de l’estampe japonaise qu’il découvre à Paris dans une exposition en 1887, enfin la proximité avec Pêcheur et baigneurs sur l’Aven, peint au même endroit en 1888. La Rivière blanche montre les capacités de Gauguin à assimiler et à combiner différents langages à des fins créatrices, une démarche qui le distingue de ses contemporains impressionnistes plus attachés à la seule observation de la nature.

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