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Johann Carl BODMER dit Karl BODMER
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix

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Né à Zurich, Karl Bodmer est à la fois peintre, graveur, lithographe et photographe. Quittant sa Suisse natale en 1828, il s’installe en Allemagne, à Coblence. C’est là qu’il est engagé par le prince Maximilien de Wied, éminent naturaliste, pour participer en tant qu’illustrateur à une expédition ethnographique au nord du Missouri, entre 1832 et 1834. Durant ces deux années, l’artiste se plonge dans le quotidien des tribus indiennes des Grandes Plaines et rapporte de son périple près de 400 dessins et aquarelles qui serviront à l’illustration du Voyage à l’intérieur de l’Amérique du Nord, édité en 1839. Portraits de grands chefs indiens en costumes rituels, rites funéraires, danse du scalp ou chasse au bison, sont les sujets principaux de ces planches en couleur. Mais paysagiste dans l’âme, Karl Bodmer rapporte aussi de cette Amérique sauvage d’impressionnantes visions des prairies immenses, des canyons vertigineux et des forêts mystérieuses dont il tirera quelques aquarelles et peintures. C’est en 1849 qu’il s’installe à Barbizon, en forêt de Fontainebleau, et prend part à cette fraternité artistique qui, autour de Théodore Rousseau ou Jean-François Millet, prône le travail en plein air et le souci de réalisme dans la représentation de la nature. Dès 1850, il remporte une médaille de seconde place au Salon avec Intérieur d’une forêt en hiver[1] qui, selon Etienne Jean Delécluze est « un ouvrage étudié avec soin et qui fait honneur à l’artiste.[2]» Il ajoute : « Ces immenses squelettes d’arbres vus à travers le givre sont bien rendus. » Les arbres remarquables de la forêt de Fontainebleau seront à de nombreuses reprises le sujet de ses tableaux, de ses gravures ou même de ses photographies. « La forêt est la plus belle, la plus imposante, à l’endroit même où elle finit. C’est là qu’on trouve, dans le Bas-Bréau, les chênes séculaires à qui les peintres ont donné leur nom » nous explique Henry Fouquier dans la notice nécrologique de l’artiste[3]. Un chêne immense, en particulier, revient si souvent dans ses compositions qu’il finira par être appelé le « Chêne Bodmer »[4]. Un tableau de l’artiste, conservé au musée de Boston, le montre protégeant de ses ramures tourmentées une horde de sangliers[5]. On le retrouve enfin dans une photographie appartenant au musée d’Orsay[6]. C’est cet arbre à l’architecture tourmentée, aux branches dressées comme des bras gigantesques vers le ciel, au tronc immense et rugueux qui est – plus que le bouvier qui s’époumone à appeler ses bêtes au rassemblement en soufflant dans son olifant –, le véritable sujet de ce dessin, très probablement destiné à la gravure. En effet, la feuille est signés à l’envers et au verso, l’artiste a pris soin de repasser entièrement son tracé afin de mieux juger de l’effet produit par sa composition une fois gravée, c‘est-à-dire, inversée par rapport au recto. Par un cadrage serré, des jeux d’ombre et de lumière obtenus par le mélange subtil de crayon graphite et de fusain et l’évocation rapide des bêtes et de leur berger en quelques traits efficaces, l’artiste parvient à nous plonger dans le secret des bois où les arbres séculaires et vénérables insufflent leur magie, dominant de leur masse hommes et animaux. « Autant poète que peintre, il a le sentiment des solitudes forestières, et en exprime en quelque sorte l’impressionnant silence », dira Amédée Besnus, un des rares auteurs anciens à avoir consacré quelques lignes au travail de Bodmer[7]. Ce dessin, dédicacé au peintre animalier et collectionneur d’estampes et de dessins Hector Giacomelli, figure dans sa vente après décès sous le titre Le Bouvier.


[1] Karl Bodmer, Forêt en hiver, huile sur bois, Fontainebleau, collection ville de Fontainebleau, Inv. 25.
[2] Etienne Jean Delécluze, « Salon de 1850 », Exposition des artistes vivants, 1850, p. 142.
[3] Henry Fouquier, « la Vie de Paris », Le XIXe siècle : journal quotidien politique et littéraire, 2 novembre 1893, p. 1.
[4] Monet rendra hommage à l’artiste en consacrant deux peintures en 1865 au Chêne Bodmer : Le Chêne Bodmer dans la forêt de Fontainebleau, New York, Metropolitan Museum of Art, Inv. 64-210 et Un chêne au Bois-Bréau, collection particulière.
[5] Karl Bodmer, Oaks and wild boars, vers 1865, Boston, Museum of Fine Arts, Inv. 06-3.
[6] Charles Bodmer (il semble que l’artiste signe ses photographies sous son nom francisé), Barbizon, Paris, musée d’Orsay, Inv. PHO1984-88-173.
[7] Amédée Besnus, « Karl Bodmer », Mes relation d’artiste, Paris, 1898, p.158.

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