(Sans titre)

L’attribution traditionnelle au peintre génois
Luca Cambiaso se justifie pleinement. La
production graphique de cet artiste majeur est,
on le sait, pléthorique. Par production
graphique, on entend celle qui lui revient
pleinement, c’est-à-dire autographe, et celle qui
en dérive. Cambiaso a perfectionné et généralisé
un procédé de recherche consistant à
réduire la figure humaine à des éléments
volumétriques cubiques. C’est ce procédé qui a
connu pendant toute l’époque moderne, en
raison de sa simplicité et de son efficacité – il
permet en effet de respecter pour chacune des
figures dessinées, leurs proportions internes –,
une fortune considérable et qui est à l’origine
du nombre élevé de copies, d’adaptations et
d’imitations que l’on rencontre dans tous les
cabinets du monde occidental.
Les figures dessinées sur le recto et le verso de
cette feuille n’appartiennent pas à proprement
parler à cette phase « cubisante » que Cambiaso
adopte au cours d’une période particulière de
sa production. Les formes y sont certes simplifiées
mais ne tendent pas à se géométriser. Il
s’agit d’une sorte de style d’entre-deux, situé à
la jonction d’une manière constituée de formes
amples et monumentales à la Michel-Ange et
de lignes déliées, souples et fluides à la Perino
del Vaga, lequel eut à Gênes une influence extrêmement
importante dans le développement
d’une manière moderne, manière qui caractérise
sa première période et celle qui, a
contrario, se développe à la fin des années 1560
et qui se matérialise par un trait beaucoup plus
sec, circonscrivant des formes géométrisées.
Lauro Magnani emploie le terme de «modération» pour désigner cette période intermédiaire
qui s’éloigne des expérimentations
graphiques antérieures, presque extravagantes
dans le jeu des courbes et des contre-courbes,
pour aller vers une expression plus synthétique
des formes. L. Magnani ne fait en fait que reprendre Soprani qui affirme que l’architecte
Galeazzo Alessi « fu da lui instruito su molte
regole spettanti alla Pittura, ed esortato a
dismettere quella gigantesca maniera » (« lui
enseigna beaucoup de règles concernant la
peinture et [qu’] il l’exhorta à se défaire de cette
manière “gigantesque” »), à la suite de quoi
Luca élabora « un disegnarmeno stravagante »
(« une façon de dessiner moins extravagante »).
C’est cette tendance que l’on sent venir sur ces
trois figures de manière presque prémonitoire
(mais nous raisonnons à rebours à partir d’un
lieu où l’on distingue toute l’évolution stylistique
cambiasesque), sans que toutefois la ligne
ne perde de sa souplesse et de son énergie.
Le personnage étudié au recto prépare très
certainement une figure mythologique féminine,
Minerve ou Diane (mais son front n’est pas orné
de son attribut traditionnel qu’est le croissant de
Lune, attribut que l’on retrouve sur d’autres
dessins plus tardifs du maître), deux déesses
vierges en tout cas[1], tandis que le groupe de
figures du verso appartient à un tout autre
contexte iconographique, sacré celui-ci, puisqu’il
s’agit d’un détail, d’une focalisation interne
pourrions-nous dire, portée sur le martyre de
sainte Catherine. Aucune peinture connue ne
reprend les propositions étudiées sur les deux
côtés de cette feuille, tout comme aucun autre
dessin ne semble pouvoir être mis en rapport. Il
existe en revanche des œuvres graphiques de
nature stylistique comparable que nous
pourrions mettre en regard, qui, toutes, sont
datées des alentours des années 1560.
[1] Elle est identifiée dans l’inventaire de la collection L. Mesnard comme étant une Bellone.
Découvrez également...
-
Structure du silence
1985 -
-
Grillage
1974 - 1975