Buste de jeune femme vu de dos, la tête de profil tournée vers la gauche

Giovanni Battista PIAZZETTA
XVIIIe siècle
Pierre noire et fusain, estompe, rehauts de gouache blanche, sur papier vergé gris-bleu rabouté et insolé
37,6 x 30,4 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (lot 3544, n°1330).

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Piazzetta n’a pas seulement dessiné en vue de penser la mise en place d’une peinture. C’est un dessinateur comme on dit que c’est un peintre. Il dessine pour préparer une œuvre d’art peinte comme il dessine pour faire un dessin en lui-même. C’est en fait moins la peinture, que l’on devrait mettre en parallèle, que le pastel. Et la figure de Rosalba Carriera, qui au début du siècle donna à ce médium ses lettres de noblesse, a marqué les artistes qui ont commencé à travailler dans son sillage. Il faudrait alors dire que Piazzetta dessine ses têtes de fantaisie comme Rosalba Carriera conçoit ses portraits au pastel. La feuille de Grenoble, à sa manière, synthétise ce parcours et porte en elle le cheminement conduisant à une autonomisation du dessin. Le motif dessiné appartient en effet à un détail d’une peinture représentant la figure de Judith s’apprêtant à trancher la tête d’Holopherne. Dans ce tableau, conservé à l’Accademia di San Lucca à Rome (inv. 693), daté par Adriano Mariuz des années de jeunesse de l’artiste[1] (c. 1720), Piazzetta a peint l’héroïne juive portant un bonnet agrémenté d’une plume d’aigrette, le visage de profil et le buste de dos ; la main droite retire une épée de son fourreau, tenu de la gauche. Dans le dessin, Piazzetta a supprimé ce détail que l’on pourrait qualifier de diégétique, en ce sens qu’il fait partie de l’histoire représentée, pour ne montrer qu’un buste de jeune femme élégante, richement habillée. Mais ce changement ou plutôt cette perte d’identité originelle – de femme biblique, le personnage féminin peint est devenu une sorte de courtisane de papier –, ne se traduit pas par la disparition complète d’une narration potentielle. C’est ainsi que Piazzetta a remplacé le geste de préhension de l’épée par un autre geste: la main ne tient plus un quelconque objet, elle est montrée la paume ouverte vue de dos, à l’instar du buste. Ce geste signifie dans la grammaire de l’expression des passions, la surprise ou l’admiration, au sens classique du terme (c’est-à-dire l’étonnement). Mais Piazzetta omet à dessein de figurer l’objet même à l’origine de l’étonnement de la jeune femme. Il y a comme une suspension de l’histoire. C’est tout simplement une femme montrée dans un état de surprise que Piazzetta dessine, comme s’il voulait mettre en abyme notre propre étonnement face à cette figure de l’étonnement. En réadaptant un motif déjà peint, Piazzetta fait comme œuvre d’économie. Il part d’une œuvre qu’il a déjà créée en réutilisant très certainement un dessin préparatoire au motif peint. Ce dessin existe[2] : tout en étant soigné et précis, il ne possède pas le degré d’achèvement et de méticulosité dans le tracé et le rendu des ombres, des chairs et des tissus que l’on peut constater sur le « dessin autonome ». Son statut est clairement de mettre en forme une disposition. Qui plus est, ce dessin (à moins qu’il n’ait été coupé) ne montre ni de main tenant d’épée, ni de main à la paume ouverte. L’attention graphique est concentrée seulement et uniquement sur le buste et la tête. Piazzetta a ajouté le détail de ce geste placé à l’arrière-plan sur un autre support. Ce dessin indépendant, qui devait être montré sous glace et encadré à l’image des pastels (malheureusement, le nom de son premier possesseur n’est pas connu), fait partie d’un groupe appelé « Teste di carattere », conçu selon une même typologie dans le format, le choix de la teinte du papier d’un brun léger et le cadrage des bustes. Certains ont été traduits en gravure. Il ne semble pas que ce soit le cas pour la feuille grenobloise que l’on peut dater des années 1735[3].


[1] Rodolfo Pallucchini le date cependant des années 1730. Trois autres versions sont connues (collection privée, Galleria Nazionale d’Arte Antica à Rome, Scuola Grande dei Carmini à Venise). Celle de l’Accademia di San Lucca est la plus ancienne.
[2] Ce dessin est passé en vente chez Christie’s à Londres, le 5 juillet 2005, lot 99. Technique : pierre noire, rehauts de craie blanche sur papier légèrement brun. H. 32 ; L. 23,9 cm.
[3] On peut mettre le dessin grenoblois en regard avec d’autres œuvres graphiques conçues selon une disposition comparable, notamment, un Portrait de Rosa Mazzioli passé en vente à la galerie Yves Mikaeloff en 1990, no 12, un dessin appartenant au Kupferstichkabinett de Berlin, inv. Nr. KdZ 5612,_ Portrait d’une jeune fille_ et un autre Portrait de Rosa Mazzioli conservé à Windsor Castle, Royal Library, inv. 0764. La proximité des traits de la jeune fille représentée, la femme du peintre qu’il épouse le 22 novembre 1724, laisse penser que le modèle dessiné sur la feuille grenobloise pourrait être la même personne. Cela signifierait que le tableau de Judith et Holopherne est postérieur à cette date. On serait alors tenté de rejoindre R. Pallucchini et de le dater des années 1730. Cela correspondrait qui plus est à l’âge de Rosa Mazzioli (elle avait vingt ans en 1724).

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