Relief funéraire : buste de femme

Syrie, Palmyre
fin IIe siècle - début IIIe siècle
54 x 38 x 20 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Don de Léon de Beylié en 1907

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Calcaire
54 x 38 cm
Inscription en araméen :
« Bat’â fille de Moqîm (fille de) Malkû, hélas ! Malkû durant (sa) vie a fait. »
Don de Léon de Beylié en 1907
MG 1578

Calcaire
50 x 40 cm
Inscription en araméen :
« Tabâ fille de Mattanû, hélas ! »
Don de Léon de Beylié en 1907
MG 1579

Ces deux bustes féminins sont sculptés en haut-relief sur des plaques de calcaire carrées ou trapézoïdales qui fermaient les loculi des tombeaux collectifs de Palmyre. Trois types de tombeaux ont été en usage dans la cité caravanière, la tour funéraire, type le plus caractéristique et le plus ancien, l’hypogée à la mode hellénistique et le temple-tombe. À l’intérieur de ces monuments, les corps des défunts, après avoir subi une forme de momification, étaient placés dans des cercueils en terre cuite ou en bois, et glissés dans des cases de deux mètres de profondeur appelées loculi. Ces loculi étaient disposés en rangées superposées ; les travées, qui comportaient de quatre à six dalles en hauteur, étaient séparées par des pilastres. Les deux femmes sont vêtues d’une tunique sans manches recouverte d’un manteau agrafé sur l’épaule gauche par une fibule. Elles sont coiffées d’un turban sur lequel est posé un voile qu’elles écartent de la main droite et dont elles maintiennent un pan de la main gauche. Elles sont représentées selon une stricte frontalité. Une importance particulière est donnée aux yeux, très grands, suivant une antique tradition mésopotamienne.
L’abondance des bijoux dont sont parées les Palmyréniennes, qui ira en s’accentuant au cours du temps, témoigne de la richesse de la ville. Ici, les défuntes portent plusieurs colliers, trois pour Bat’â et deux pour Tabâ, un en perles, sans doute des perles fines importées de l’île de Bahreïn au ras du cou et une ou deux chaînes avec des pendentifs. Bat’â arbore un bracelet torsadé à chaque poignet et une bague à l’auriculaire gauche. L’une et l’autre portent des boucles d’oreilles composées de deux boules reliées par une barrette et sur le front un bandeau orné de motifs végétaux. Dans le cas de Bat’â, cet ornement est enrichi par deux chaînettes à cabochons fixés sous le turban qui rejoignent souplement les tempes. Les traces de couleur rouge sur les fibules, les pendentifs et les chaînettes simulent des cabochons en pierre précieuse ou peut-être des imitations en verre.
Les inscriptions qui identifient les personnages sont gravées, et rehaussées de rouge, à côté de la tête, dans l’angle supérieur de la dalle, le plus souvent le droit, comme sur ces deux exemples. Elles sont généralement rédigées en palmyrénien, dialecte de l’araméen. Il s’agit d’une écriture alphabétique qui se lit de droite à gauche. L’araméen fut la langue officielle de l’Empire achéménide entre 539 et 333 avant J.-C. L’écriture est empruntée aux Phéniciens, « inventeurs » de l’alphabet. Au VIIIe siècle est apparue une distinction entre l’écriture lapidaire sur les monuments et une forme cursive utilisée sur les supports mous, papyrus ou parchemin, qui se développa à l’époque perse avec la généralisation de l’usage de l’encre. C’est de cette écriture de chancellerie que dérive l’écriture monumentale utilisée par les Palmyréniens. Les inscriptions consistent en une formule stéréotypée donnant le nom et la généalogie du défunt jusqu’à la deuxième ou troisième génération en ligne mâle, accompagnée de l’exclamation HLB (hélas !). Parfois est inscrite également une traduction en grec de l’épitaphe, car il ne faut oublier que Palmyre était une ville bilingue. Exceptionnellement, l’inscription est en latin, par exemple lorsque le défunt a exercé une fonction dans l’armée romaine. Les bustes datés par leur inscription, qui sont nombreux mais ne constituent pas la règle, ont permis au savant danois H. Ingholt d’établir le premier une classification des bustes de Palmyre en trois groupes en se fondant sur le costume, la coiffure, les bijoux et le traitement des yeux et de proposer une chronologie. Le groupe I est daté de 50 à 150, le groupe II de 150 à 200 et le groupe III de 200 à la chute de la ville en 273 sous les coups de l’empereur romain Aurélien.
Ce classement, qui suit strictement les siècles, est un peu schématique et a été affiné notamment en tenant compte des événements historiques comme la visite de l’empereur Hadrien en 129 qui permit à la ville de reprendre son fructueux commerce et connaître un accroissement de sa prospérité. Les deux bustes de la collection Beylié appartiennent au groupe II qui est défini par le traitement des yeux, dessinés en amande avec un seul cercle pour noter la pupille, et non plus deux cercles concentriques comme à la période précédente. Le nombre des colliers constitue également un indice chronologique : inexistants dans le groupe I, ils se superposent en deux ou trois rangs à la période suivante et se multiplient dans les derniers temps de la cité.
Les bustes funéraires de Palmyre sont conservés par dizaines dans les collections publiques et privées à travers le monde. Le chiffre élevé de dalles parvenues jusqu’à nous ne reflète pas la réalité, car les tombes collectives pouvaient accueillir les dépouilles du commanditaire et de toute sa famille, au sens de tribu, parfois plus de deux cents personnes. Un très grand nombre de bustes ont disparu, réemployés pour la construction ou réduits en chaux par le feu. Devant le sentiment de déjà-vu suscité par ces œuvres, on a souvent conclu qu’il s’agissait d’une fabrication en série que la gravure d’un nom suffisait à personnaliser. D’autres chercheurs les tiennent pour de véritables portraits reproduisant fidèlement les traits du défunt comme en témoignent certains détails réalistes. Il semblerait qu’une position médiane doive être adoptée. Il existait des modèles qui étaient adaptés à l’individu par la coiffure, les bijoux et le rendu de détails physiques. Certains bustes étaient sculptés du vivant du personnage comme l’indique l’épitaphe de Bat’â. Elle précise que c’est son grand-père qui a fait faire le buste du vivant de sa petite-fille.

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