Vieille Femme et petite fille (Etudes pour La Mort d'une soeur de charité)

Isidore Pils appartient à cette génération de peintres réalistes qui, aux côtés de Gustave Courbet et de Jean-François Millet, émerge au lendemain de la Révolution de 1848. Sur les cimaises du Salon de 1850-1851, où Courbet expose son très controversé Enterrement à Ornans, fleurissent les scènes montrant les travailleurs du monde rural, et dans une moindre mesure, urbain. Isidore Pils est présent cette année-là par une vaste composition, La Mort d’une sœur de charité , instaurant une nouvelle catégorie d’œuvre : la scène de genre religieuse. On y voit la mère Saint-Prosper sur son lit de mort, entourée des miséreux de l’hôpital Saint-Louis à qui elle dispensait son aide. Isidore Pils, atteint de tuberculose, a lui-même été soigné dans cet hôpital dès 1845, côtoyant la mère supérieure à qui il rend hommage. Ce fait divers, précisément daté de 1846 et dont l’artiste est un témoin direct, prend sous son pinceau une dimension spirituelle et la taille imposante du tableau hisse cet événement mineur à la hauteur d’une page d’histoire. Le dessin de Grenoble prépare les figures de la femme et de la petite fille qui se trouvent dans l’ombre, à droite de la composition. Absente de l’article que Gabriel P. Weisberg consacre en 1990 aux dessins réalistes de Pils[1], cette feuille très aboutie occupe une position intermédiaire entre les croquis rapides, où l’artiste étudie différentes attitudes pour ses modèles, et les esquisses peintes (dont une conservée au musée Dechelette, Roanne) que celui-ci réalise juste avant de transcrire ses figures sur la toile. Pils insiste ici sur les têtes et les mains de la fillette et de sa mère, laissant dans l’imprécision le reste des corps, cachés dans le tableau par d’autres personnages. L’artiste use de la sanguine brûlée assez sombre pour cerner la forme des drapés et des mains et marquer les ombres projetées de la tête et du châle, laissant à la craie, se détachant sur un papier autrefois bleuté, le soin de capter la lumière. Toute la douleur de la femme s’exprime dans le geste de cette main crispée et dans ce fichu qui se change en mouchoir pour cacher le visage. Si les pauvres de Pils inspirent la pitié, ils ne sont ni sales ni repoussants, mais dignes et recueillis devant la dépouille de leur bienfaitrice. La plupart des critiques loueront la beauté morale du sujet. Pour Alexis de Calonne, Pils « cherche le beau, même sous les haillons, et il a le bonheur de croire que, dans la nature, tout n’est pas que laideur et difformité »[2]. On est loin ici des textes qui fustigent Un enterrement à Ornans de Courbet à qui l’on reproche la laideur de ses modèles et leur traitement sans concession. « Il faut que le beau et touchant modèle soit idéalisé, transfiguré par ses peintres, non pas avili de type ou traîné dans le plus bas réalisme », déclare Prosper Haussard, critique du National, marquant bien ainsi la différence entre les deux peintres[3]. Le réalisme de Pils est somme toute conventionnel et légèrement sentimental. L’artiste, prix de Rome en 1837, met au service d’un sujet contemporain une technique et une méthode de travail académiques, multipliant les dessins d’après le modèle et les études préparatoires. Ses sources sont celles de la grande peinture religieuse du XVIIe siècle, en particulier L’Ex-voto de 1662 de Philippe de Champaigne, dont l’artiste reproduit la composition en sens inverse. Achetée par l’État pour la coquette somme de 4 000 francs, La Mort d’une sœur de charité est envoyée au musée des Augustins de Toulouse où elle se trouve toujours.
[1] Gabriel P. Weisberg, « Early Realist Drawings of Isidore Pils », Master Drawings, vol. XXVIII / Nr. 4, Winter 1900, p. 387-408.
[2] Alexis de Calonne, L’Opinion publique, 4 février 1851, p. 1.
[3] Prosper Haussard, Le National, 22 avril 1851, p. 2.
Découvrez également...
-
Aryballe (Cotylisque)
VIe siècle av. J.-C. -
-
Eléphant
XIXe siècle - XXe siècle