Nature morte
Né en 1890 à Bologne, Giorgio Morandi s’est
très tôt tourné vers la peinture. Il s’inscrit à
l’Académie des beaux-arts de Bologne en 1907,
dont il suit les cours jusqu’à son diplôme en 1913. Néanmoins, de son aveu même, il se
sent très vite en décalage avec l’enseignement
académique qu’il reçoit, et c’est au travers des
revues qu’il découvre l’impressionnisme et le
néo-impressionnisme ainsi que l’artiste qui
demeurera sa référence absolue : Cézanne.
En 1914, il croise la route des futuristes et
participe à la première exposition Libera futurista
à Rome, mais ce n’est qu’en 1918, lorsqu’on
lui montre des reproductions de peintures
métaphysiques de Giorgio de Chirico et de Carlo
Carrà, qu’il trouve résolument sa voie. Durant
deux années, il adopte les canons esthétiques
de la Metafisica et réalise un groupe de natures
mortes remarquables. C’est au sortir de cette
période, à partir de 1921, que Morandi définit
les principes de sa démarche artistique. Ils
relèvent d’un travail sur le motif et reposent
sur une observation tendue et inquiète du réel,
un réel qui se résume essentiellement pour lui
aux simples objets de ses natures mortes et aux
paysages de Grizzana, un village des Apennins où
la famille possède une maison. Dès lors, il se livre
à une quête solitaire et obstinée d’une harmonie
ultime, celle qui se dissimule derrière les choses
visibles et qu’un agencement momentané
laisse parfois apparaître. Ce faisant, derrière le
classicisme apparent de cette recherche, l’artiste
développe une problématique d’une grande
modernité. Si la critique a souvent établi un
parallèle entre le peintre italien et Giacometti, à
cause notamment de leur semblable insistance à
reprendre de manière obsessionnelle les mêmes
motifs, il faut aussi penser la peinture de Morandi
à travers l’art abstrait géométrique, jusqu’à
ses développements américains, de Rothko au
minimalisme.
En 1939, Morandi peint six natures mortes et
deux paysages. Ce nombre restreint d’œuvres
correspond à son rythme de création dans les
années d’avant-guerre. Cette production rare
reflète les doutes et les interrogations de l’artiste
durant cette période, que le joug du fascisme et
l’imminence de la guerre ne font qu’accroître.
Par sa simplicité et son équilibre, cette
composition apparaît comme l’un des chefs-d’œuvre
les plus délicats et émouvants de ces
années. On songe aux nocturnes de Georges de
La Tour, à leur intensité et leur recueillement.
Peinture d’un équilibre miraculeux, pétrie de
silence et d’une sombre ferveur, elle ne cesse
semble-t-il de palpiter, grâce à une touche
généreuse et puissante qui irrigue et unifie toute
la surface du tableau, grâce aussi aux échos
chromatiques qui font résonner chaque élément.
Dans cette œuvre, l’artiste paraît atteindre
la quintessence de son art. Avec des moyens
limités, une gamme presque monochrome,
un format modeste, une absence totale de
théâtralisation dans le choix et la disposition
des objets, il parvient à la fois à dire la peinture
dans sa vérité « matérielle » – « […] une surface
plane recouverte de couleurs en un certain
ordre assemblées » (Maurice Denis) – et dans ce
qui la dépasse et la transcende : le mystère du
visible que nulle analyse, nulle transcription ne
parviendra jamais à percer.
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